Saint-Louis du Sénégal, j’y allais pour croquer avec boulimie ses façades aux balcons ouvragés, j’y allais à la rencontre de Pierre Loti dans le quartier des spahis où je logeais. Saint-Louis, j’y allais surtout pour embarquer à bord du magnifique cargo, le Bou El Mogdad, et faire ce que je sais faire, murmurer à l’oreille des marins pour les faire parler. J’avais en tête une courte visite au musée de la Poste car Saint-Louis est dans l’ADN de l’aéropostale, et l’aéropostale dans l’ADN de Jean-Antoine Navarro. Jean comme Jean Mermoz, Antoine comme Antoine de Saint-Exupéry, mais ça n’est que le fruit du hasard. Jean-Antoine Navarro, feu mon père, était un simple ouvrier espagnol. El Émigrante andalou avait fui la guerre d’Espagne. Il était passionné d’aviation, de Saint-Ex, de Mermoz, de Cousteau et de Paul Emile Victor. Il savait tout, avait tout lu et lisait toujours. Il portait souvent des chemises de pilotes, ciel ou beige, une mèche ondulante tombait sur son front à la manière de Mermoz par grand vent. J’avais fait son portrait à l’encre et à la plume, j’avais environ 17 ans, je l’ai toujours, le papier est jauni, la trame de ma plume désordonnée et vivante, mais le portrait est « placé », c’est bien mon père sur ce vieux dessin qu’il aimait. Ses héros allaient devenir les miens, plus tard, beaucoup plus tard, car au sortir de l’enfance et de l’adolescence, on veut surtout s’affranchir de la marque familiale. C’est adulte que le sang nous rattrape, comme c’est étrange. J’avais lâché prise et obéis à mes intuitions, j’avais commencé par lire Mermoz de Kessel. Mais après trois ans, je ne peux toujours pas dépasser la préface, je pleure. Chaque essai renouvelé se solde par un échec. J’avais dessiné Jean Mermoz et j’étais tombée amoureuse de lui, de l’archange glorieux, de cet homme fort et courageux, de ce pilote qui fut sans nul doute « le patron ». Né en 1901, il a disparu en 1936 au large de Dakar aux commandes de la Croix-du-Sud, son hydravion, un Latécoère 300. « Je voudrais ne jamais descendre » disait-il… A ce stade du voyage je ne savais pas encore que mon carnet allait prendre de l’altitude.