Raphaël Seyfried - Carnet de voyage au Cambodge 2
Carnet de voyage - Cambodge

Chronique d’un voyage anarchique

Le dessinateur Raphaël Seyfried est tombé immédiatement sous le charme du Cambodge. Séduit par le sytème D qui s’est emparé de tout un pays en manque de ressources, il a lui aussi vécu avec des bouts de ficelle. Jusqu’au jour où il a eu l’idée, pour assurer sa subsistance, de vendre ses rouleaux de voyage sur un marché de Siem Reap.

– EXTRAIT – 

oif d’aventures, je quitte mon confort si durement fabriqué à l’automne 2014. Sans billet retour et sans savoir ce que je trouverai. Mais je cherchais. Je cherchais difficilement un truc. Ce truc qui vous pique et vous offre un souffle de liberté si puissant qu’on s’en trouve drogué pour toujours.

Après des mois entre l’Albanie, la Grèce, la Nouvelle-Zélande, l’Australie… j’arrive au Royaume des Possibles : le Cambodge. Ce pays m’accueille avec cette odeur qui m’enivre dès mon arrivée. Sa chaleur me remplit les narines et le gosier comme si je respirais une nouvelle vie. C’est extraordinaire de sensations de pouvoir ressentir ce feu naissant.

Phnom-Penh, la capitale, grouille d’animations. L’appropriation de l’espace public par les habitants se fait même dans les plus petites dents creuses urbaines, ces espaces non construits entourés de parcelles bâties. Mon héritage d’études en architecture et urbanisme m’offre un œil averti sur la lecture paysagère et sociologique d’une ville. Cela me permet un regard presque politique sur tout un pays : je suis au beau milieu d’un voyage anarchique harmonieux dont la beauté naît du désordre.

Peu de touristes de passage s’attardent sur cette ville, et encore moins sur son architecture. Vann Molyvann (1926-2017), architecte de renom fut le maître d’œuvre du visage de Phnom Penh durant la période du Sangkum. Aujourd’hui, l’architecture contemporaine s’enchevêtre par-dessus celle de l’époque coloniale et celle que l’on appelle le brutalisme, un style moderne des années 1950 à 1970 mettant en valeur le béton brut et sauvage (Le Corbusier et la Cité radieuse à Marseille). L’un de mes préférés fut le White Building. Une barre blanche de plusieurs centaines de mètres, logeant plus de 3 000 personnes au niveau de vie plus que précaire mais particulièrement intense. Le film du même nom sorti en 2021, du réalisateur cambodgien Kavich Neang, retrace le quotidien d’un jeune homme dont la vie bascule à l’approche de la date de démolition du bâtiment en 2017. Une époque qui s’effondre, absorbée par des gratte-ciel luisants et clinquants d’une société de plus en plus désireuse de briller au-delà des frontières.

Durant plusieurs mois, je parcours le pays en long et en travers. Je n’ai qu’un seul objectif, celui de cataloguer toutes ces nouveautés, cette effervescence d’un monde que je ne connais pas ! Alors je dessine… je dessine de manière compulsive les plus insignifiantes surprises que je peux croiser, comme un gosse qui découvre un nouvel univers.

Pendant ce temps, à chaque recoin, c’est un nouveau festival d’art de rue à ciel ouvert. Un même croisement de routes peut changer de fonction plusieurs fois dans une seule et même journée. Tôt le matin, le carrefour est dédié au marché local. De jour il devient un espace de stationnement. En fin d’après-midi, la zone se métamorphose en restaurant de rue. La journée s’achève et c’est un dortoir qui y prend place durant la nuit. Cette ville ne s’endort jamais ! Elle est bruyante, brûlante, bouillante, sauf lors de la fête des morts. 

Cet événement d’une quinzaine de jours commence au quinzième jour du dixième mois du calendrier lunaire khmer et  correspond en général à la fin du mois de septembre ou au début du mois d’octobre. Fêter Pchum Ben à Phnom Penh, c’est s’offrir quelques jours de repos dans la plus grande ville du pays. À cette occasion, la quasi-totalité de la population rentre à la campagne pour célébrer en famille l’ouverture de la porte des Enfers où l’on voit ses ancêtres revenir sur terre. Lors de cette fête religieuse, on soulage les esprits errants en leur offrant de la nourriture tout en participant à son propre palmarès de mérites qui nous seront comptés lors de notre propre jugement dernier. Une aubaine pour flâner dans les rues et à travers des lieux qui sont rarement aussi calmes.

Durant plusieurs mois, je parcours le pays en long et en travers. Je n’ai qu’un seul objectif, celui de cataloguer toutes ces nouveautés, cette effervescence d’un monde que je ne connais pas ! Alors je dessine… je dessine de manière compulsive les plus insignifiantes surprises que je peux croiser, comme un gosse qui découvre un nouvel univers. Tout y passe : les pavés décorés de la rue du palais. Les sarbacanes faites maison en tuyaux bleus des enfants. La machine motorisée montée sur une chaise roulante du rémouleur ambulant. Le reflet du regard d’un vieillard et de son cigare qui me fixe comme une curiosité. Une glacière orange. Un tuk-tuk personnalisé en Batmobile. La mode du pyjama. Une station-service fabriquée maison avec son baril de pétrole et ses vieilles bouteilles d’alcool réemployées pour servir les clients. Une partie de jeu d’échecs sur le damier du carrelage urbain avec des morceaux de briques et de bouchons en guise de pions. Une autre glacière orange. Un ventilateur manuel fait d’une tige en bois et d’un sac en plastique rempli d’air pour chasser les mouches qui tournent autour des pièces de viande à vendre. Un garagiste qui répare une moto à l’aide d’une pièce de cannette découpée et d’un ruban adhésif…

Carnet de voyage de Raphaël Seyfried à découvrir dans le Numéro 64

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