
Un soir sur Kyushu
– EXTRAIT –
J’ai commencé par chercher un hôtel dans Osaka et le premier qui avait des disponibilités proposait des chambres capsules. En résumé, ce sont des sortes de tiroirs où l’on range les gens pour qu’ils se reposent à moindre coût. Cette expérience me prouva que d’essayer de dormir dans une ruche urbaine est nettement moins reposant que de ronfler à ses aises dans sa petite boîte sous les étoiles. J’ai donc rejoint rapidement l’île de Kyushu, la plus méridionale de l’archipel nippon, avec l’idée de la traverser à pied du nord au sud, équipé de mon sac à dos et de ma propre capsule de toile. J’avais un mois devant moi, Je n’avais ni carte routière, déjà pas de téléphone portable, quelques centaines de yens en poche, un carnet papier, et je ne savais dire qu’un seul mot en japonais : arigato. J’étais un homme heureux d’être sans projet précis car chaque minute à venir serait une découverte qui ouvrirait des possibilités infinies.
On ne part pas dans ces conditions sans savoir qu’on a depuis longtemps au-dessus de soi une bonne étoile du voyageur, celle dont la lueur, si faible soit-elle, ne semble jamais s’éteindre. Elle paraissait pourtant à des milliards d’années-lumière, cette étoile, quand je suis passé, épuisé, le long de cette aire banale de repos pour automobilistes, devant ce distributeur de boissons en pleine nature.
Je voulais de l’inattendu ; je fus servi. Je cherchais en vain des chemins de randonnées qui n’existent pas si bien que j’ai dû emprunter souvent les routes goudronnées et j’ai passé les six premiers jours trempé comme une soupe miso, il pleuvait sans cesse. Là où j’aurais pu m’abriter par moment, dans les nombreux tunnels de cette contrée montagneuse, je devais courir pour m’en échapper au plus vite. Sans trottoir, ces tunnels ne me laissaient sur les bas-côtés en cas de croisement de deux camions, que l’épaisseur d’une feuille de papier washi pour me garer. Je m’asseyais de temps en temps sous les abribus. L’horizon bouché par des nuages gris et statiques était vague, mon regard dépité posé dessus aussi. Comment pouvait-on en arriver là ? Comment un homme, a priori normalement constitué, d’un âge déjà avancé, en principe responsable et père de deux adolescents peut se retrouver assis dans une cabane en bois, au milieu de nulle part, à l’autre bout du monde, en train de dessiner, le moral dans ses chaussettes sales et trempées ?
On ne part pas dans ces conditions sans savoir qu’on a depuis longtemps au-dessus de soi une bonne étoile du voyageur, celle dont la lueur, si faible soit-elle, ne semble jamais s’éteindre. Elle paraissait pourtant à des milliards d’années-lumière, cette étoile, quand je suis passé, épuisé, le long de cette aire banale de repos pour automobilistes, devant ce distributeur de boissons en pleine nature.
Au moment où j’allais glisser quelques pièces dans la fente pour obtenir une bouteille d’eau, j’ai remarqué un pictogramme sur lequel figurait une petite fumée au-dessus d’une tasse. Magie du dessin, langage universel, je venais de comprendre que je pouvais me payer une canette de café chaud. Arigato, petite étoile qui luit au bon moment ! Il a fallu ce breuvage chaud et rassérénant distribué de façon miraculeuse pour que je sorte de ma besace la parade indispensable et ultime du voyageur, celle qui sauve de beaucoup de situations inconfortables : le sourire.
La nuit tombait, la pluie toujours, quand je suis entré dans une station-service avec mon bob éponge sur la tête, et une « banane » à toute épreuve accrochée entre mes deux oreilles.
Carnet de voyage de Nicolas Jolivot à découvrir dans Bouts du monde 63
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