Description
Se souvenir des petites choses
Nous étions comme des oiseaux tombés du nid. Émerveillés par tout, nous pressentions que les petites choses constitueraient de grands souvenirs. Un bento avalé dans le Shikansen, les balades nocturnes à vélo sous la chaude pluie de Kyoto, un (ou deux) verre de saké descendu dans un restaurant populaire d’Hiroshima, une demi-heure passée dans un 7 Eleven à essayer de deviner à quel genre de plat pouvait se destiner cette marchandise sous plastique… Imprimer tous les détails dans sa mémoire, vite, en croisant les doigts pour se souvenir de la mélodie entraînante de la Yamanote line du métro de Tokyo.
Ce séjour au Japon avait le goût d’un premier voyage. Soudain, on remonte plus de vingt ans en arrière, à se souvenir de ses premiers pas dans un Pékin frigorifié, où plane cette entêtante odeur de charbon. De cet hiver-là, je crois n’avoir rien oublié. Il y en a eu, depuis, des voyages en Asie. À force, la saveur du dépaysement s’était diluée, et l’acuité des souvenirs aussi. Toutes les deux sont réapparues avec force ce matin de mai 2018, persuadés que ce train entre l’aéroport de Narita et notre ryokand’Ikebukuro nous menait vers un monde nouveau.
Qui peut prendre parfois la forme de petits détails insignifiants. Pendant que beaucoup marchent la tête en l’air, Cécile Michoudet fixait le bout de ses chaussures à la recherche de plaques d’égout où des dessinateurs exercent aussi leurs talents. Passionné de cinéma, Egil Bain a vu dans Tokyo un long plan séquence où chaque rue révèle son potentiel cinématographique. Où l’on réalise que ce Japon que l’on croit méconnaître a distillé en nous depuis des années les effets de son soft power.
Comme tout le monde, Ségolène Girard et son frère Mathieu sont allés en quête de leurs clichés, à Harajuku où l’on croise des fans de cosplay tout droit sortis d’un dessin animé, à Ryogoku où ils ont pris place autour du dojo pour assister à l’épuisant entraînement des sumos. Claire et Reno Marca sont partis au Japon pour renaître, se ressourcer, et s’imprégner des nouveaux codes graphiques d’un pays qui procure à ses lointains visiteurs un choc esthétique sans fin. Le photographe Maxime Massare a trouvé la formule pour conter ce dépaysement-là : « Un voyage où la grâce règne sur les pas du quotidien ».
Au printemps, Pierre-Olivier Douphis a erré comme une âme en peine dans des rues désertes en attendant son avion. La discipline d’un pays non confiné. D’un pays un peu fou aussi, où les pompiers, sirènes hurlantes, attendent que le feu passe au vert pour poursuivre leur chemin. Où l’on peut fumer partout, sauf dehors. Où, le soir venu, une armée de salary men ivres, en bras de chemise, sacrifient au rituel de la tournée des bars avec le patron. Où des grands-pères déguisés en hommes-sandwichs essaient d’engraisser leur maigre retraite en faisant de la réclame pour un produit inutile.