Description
En quelques heures de route, l’atmosphère avait changé du tout au tout. Fini la fraîcheur des contreforts des plateaux tibétains. Nous étions arrivés à Beihai, sur les bords du golfe du Tonkin, presqu’à la même latitude qu’Hanoï. Ce détour imprévu au cours d’un périple de deux mois à travers la Chine nous donnait l’impression d’avoir changé de continent. Un peu comme quand on débarque d’un avion et que l’air n’a tout à coup plus la même odeur.
L’humidité soudain nous saisissait, la chaleur nous assommait. La nourriture avait changé. On regardait intrigués les lianes qui traversaient les rues, comme si elles avaient eu le temps de pousser pendant la nuit. On ne faisait pas trop les malins alors que des insectes gros comme des moineaux – du moins c’est ce que mes souvenirs vieux de vingt ans prétendent – faisaient du vol stationnaire un ou deux mètres au-dessus de nos têtes. Alors que depuis le début du voyage, nos regards se tournaient vers l’ouest et les routes de la Soie, on réalisait que nous étions en Asie du Sud-Est, et que le Vietnam était à une encablure à peine.
Une autre chose m’avait marqué aussi au hasard de nos balades dans ce qui ne resterait qu’une ville-étape. Il y avait là, sur la côte, une quantité de constructions neuves qui semblaient déjà abandonnées ou pas encore achevées. Des villas, des hôtels… Que s’était-il passé ? Ou bien qu’allait-il se passer ? Les carnets de voyage que nous lisons régulièrement nous donnent peut-être une indication : le surtourisme a depuis frappé de plein fouet l’Asie du Sud-Est et l’ancienne péninsule indochinoise, la Thaïlande et Angkor en tête. Le jour, chaises longues et parasols en plastique fleurissent sur des plages d’Indonésie qui ont sans doute été un jour paradisiaques. La nuit, c’est le royaume des discothèques et des touristes venus faire la fête.
Tiphaine Corbet, qui a posé ses valises voici quelques années ses valises, a parfois vu des Occidentaux douteux se promener au bras de très jeunes filles. Mais la Perle de l’Orient a bien plus à offrir que des clichés désolants. Alors la jeune chercheuse s’y est plongée à corps perdu pendant plusieurs mois pour vérifier tout ça par elle-même. Tout comme Raphaël Seyfried qui, au Cambodge, « a dessiné de manière compulsive les plus insignifiantes surprises, comme un gosse qui découvre un nouvel univers ».
Sur le quai de Koto Kinabalu, au Nord de Bornéo, Matthieu Haag regardait les touristes asiatiques et européens embarquer par dizaines à destination de petites îles qui promettaient photographies instagrammables et selfies par dizaines. Et s’il allait voir ailleurs ?
Pour échapper à ça, cela fait bien longtemps que le photographe Réhahn s’est enfoncé avec sa moto au cœur du Vietnam afin de suivre sa quête : rencontrer les cinquante-quatre ethnies qui y sont recensées. Après des années de recherche, il a ouvert un musée, Precious Heritage, à Hoi An, sa ville d’adoption, où il a rassemblé une collection unique de toutes les ethnies du pays. Quand il a débarqué là-bas la première fois en 2007, il ne fallait pas compter trouver un restaurant ouvert après le coucher du soleil. Mais ça, c’est de l’histoire ancienne.
Hubert Sagnières s’est enfoncé encore plus loin dans la forêt de Bornéo où il a rencontré les Dayak. L’endroit est bien sûr préservé de toute forme de tourisme, mais que se passera-t-il quand tous ces arbres majestueux hauts de quarante mètres, déjà promis à des compagnies de déforestation, ne seront plus là ?
William Mauxion