Carnet de voyage - Japon

Hallucinations ?

Catherine Verger prend bien soin de nous préciser qu’elle n’a consommé ni drogue, ni alcool de façon excessive. Pourtant, alors qu’elle parcourait le chemin des quatre-vingt-huit temples sur l’île de Shikoku, elle a vécu trois situations bien étranges qui, un an après, lui apparaissent toujours bien mystérieuses : une hallucination face à une statue de divinité, un dialogue virtuel avec un moine érudit du IXe siècle à l’origine du pèlerinage de Shikoku et enfin, la conviction d’une présence de ses parents défunts lors d’une cérémonie Shinto.

– EXTRAIT –

Alors que je me croyais dotée d’un esprit cartésien inébranlable, mon séjour sur l’île de Shikoku a révélé ma capacité à vivre des expériences spirituelles inattendues. J’avais choisi pour ce premier voyage au Japon de combiner des visites de temples et la marche dans un environnement naturel rural. L’île de Shikoku et son fameux pèlerinage des quatre-vingt-huit temples remplissaient tous mes critères. Sans expérience de pratiques ésotériques, j’étais simplement curieuse d’explorer les expressions de la spiritualité bouddhiste.

Le dimanche matin, les autobus sont rares entre la gare de Miyoshi et la colline d’Hachikyurasan, au nord de l’île de Shikoku. Dans le bus, seule passagère, le chauffeur m’encourage. : « Ça vaut la peine de monter là-haut par cette belle journée ; souvent les touristes ont moins de chance. Ils débarquent dans la brume. Si vous voulez marcher, je vous conseille d’utiliser le téléphérique à l’aller et de redescendre à pied. » 

Un pèlerin japonais, aussi matinal que moi, est en prière. Il a dû dormir ici cette nuit. J’avance vers les grands arbres, les statues moussues, les escaliers vertigineux, les marches gravées de caractères. L’esplanade principale et son temple aux toits de zinc verts. Derrière le mur d’enceinte, des ouvriers soufflent les feuilles tombées au sol. Le bruit choque en ces lieux. Je m’éloigne.

Suspendue dans une cabine au-dessus du vide, je surplombe des cerisiers en fleurs. Une musique douce d’instruments à cordes rythme l’ascension. Le site du temple Hachikura perché à 600 mètres d’altitude au milieu d’une forêt de cèdres et de cyprès appartient à la secte Shingon. Il ne fait pas partie du circuit du pèlerinage de Shikoku. Il est simplement recommandé comme un temple consacré par Kukkai.

Une porte d’enceinte en bois, monumentale, reconstruite maintes fois depuis sa création. Je crois entrer dans le temple principal. Erreur : il est encore plus haut. Un pèlerin japonais, aussi matinal que moi, est en prière. Il a dû dormir ici cette nuit. J’avance vers les grands arbres, les statues moussues, les escaliers vertigineux, les marches gravées de caractères. L’esplanade principale et son temple aux toits de zinc verts. Derrière le mur d’enceinte, des ouvriers soufflent les feuilles tombées au sol. Le bruit choque en ces lieux. Je m’éloigne.Un autre temple. Je ne lis pas le japonais, je comprends néanmoins le sens de l’affiche : interdit de franchir le seuil. Je le vois tout de suite.

Assis en méditation. Encadré par deux hauts cierges, des colonnes de grelots et des lotus en fer forgé ; à la main un sceptre et des anneaux. Des attributs qui ne me disent rien sur l’identité du personnage. Alors que je suis à trois mètres, je zoome avec l’appareil photo de mon téléphone sur le visage de la statue. Bien qu’elle ait les yeux fermés, j’ai l’impression de la réveiller. Elle me regarde fixement, m’hypnotise. Qui es-tu, que fais-tu là, semble-t-elle me dire. L’ai-je dérangée ? Cet éclair lumineux est-il un signe de bienveillance ? L’éblouissement est trop fort, finalement je dois baisser les yeux devant la représentation divine. Victime d’une hallucination ? De la réverbération du soleil sur l’autel tout en dorures ? Sur mes photos, les paupières de la statue sont bien fermées.

Assise sur un banc de pierre, je médite dans la verdure d’Hachikura-ji. Au-dessus de ma tête, des branches de pompons roses s’agitent dans la brise. Les visiteurs s’arrêtent pour immortaliser les cerisiers en fleurs. Les pèlerins sont de plus en plus nombreux : des familles endimanchées, des vieillards essoufflés par la dernière montée. Je photographie ce que je trouve beau : lanterne en bronze, anneau de pierre, restes de peinture sur le bois. L’heure est venue de redescendre de la montagne

Sans carte mais sûre de mon sens de l’orientation, je me risque à emprunter un sentier dans la forêt. Cinquante mètres et puis, plus rien. Dans la pente, mes chaussures glissent sur le sol friable, je manque plusieurs fois de dévaler sur les fesses. Je m’accroche aux arbustes et rejoins la route carrossable repérée plus haut. Le chemin n’est pas balisé. Mon téléphone n’a plus de batterie. J’erre dans d’impressionnantes bambouseraies. J’arrive enfin à mon point de départ du matin, au pied du téléphérique. Les émotions m’ont donné faim. Je me précipite dans un restaurant populaire où je dévore un plat de « ramen ».

Le soir, de retour à l’auberge de jeunesse, je montre mes images à un Japonais. Quel est le saint homme avec lequel j’ai cru échanger un regard le matin même ? Le panneau écrit à l’entrée de l’autel indique le nom de « Kukkai ». Je ne me doutais pas que j’avais rencontré le créateur du pèlerinage de Shikoku

Récit de voyage de Catherine Verger à découvrir dans le Bouts du monde 63

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