Carnet de voyage - France

La poésie des petites gares

Dans le tiers-monde du train qu’est devenu le Massif central, la dessinatrice Véronique Béné s’est laissée prendre à la poésie du rail. Pendant quatre ans, elle a glané ici ou là des images, comme autant de trésors cachés qui sont là, partout devant nos yeux.

– EXTRAIT – 

Yasmina Khadra écrit dans son roman Ce que le jour doit à la nuit : « La vie est un train qui ne s’arrête à aucune gare. Ou on le prend en marche ou on le regarde passer sur le quai, et il n’est pire tragédie qu’une gare fantôme ». Pour autant, les gares désaffectées ne sont pas si tragiques. (…) Gare transformée en demeure, en cinéma, comme à Usson-en-Forez, en mairie, ou bien, comme celle de Saint-Pourçain-sur-Sioule, aux élégants bandeaux de briques, en espace de coworking.

S’il était encore possible de suivre les nervures du plan Freycinet, j’irais sans coup férir du chef-lieu de canton à la sous-préfecture et de celle-ci à la préfecture, puis de là vers l’ailleurs, avec cette fascinante régularité des trains qui me ferait m’installer en confiance dans l’Aurillac-Amsterdam de 16 h 14, ou dans le Langogne-Milan de 7 h 45

Le rêve de Charles de Freycinet s’est brisé sur une autre modernité que la sienne. Il a été renvoyé au diable, aux voies vertes et à l’oubli, ce délicat maillage ferroviaire qui semblait former les nerfs du pays. Pour autant, l’air humé autour de ces gares ne me porte pas, moi, à la mélancolie. Question de nature, peut-être.

S’il était encore possible de suivre les nervures du plan Freycinet, j’irais sans coup férir du chef-lieu de canton à la sous-préfecture et de celle-ci à la préfecture, puis de là vers l’ailleurs, avec cette fascinante régularité des trains qui me ferait m’installer en confiance dans l’Aurillac-Amsterdam de 16 h 14, ou dans le Langogne-Milan de 7 h 45. Sitôt le signal du départ donné, il ne reste plus qu’à coller son visage à la vitre et voir défiler un paysage intermittent. Un paysage auquel je n’appartiens plus, comme propulsée dans une autre dimension, celle du déplacement. Tout devient vague, on m’emporte.

La vision du train reflété dans les vitres d’un entrepôt, un jour du côté d’Issoire, me parut complètement insolite, comme si train et paysage occupaient deux dimensions différentes. À l’intérieur de la voiture voyageur, j’étais insérée, monade nomade, dans un espace-temps qui n’appartenait plus au paysage traversé. Pas le temps de s’inventer une vie dans la torpeur des arrière-cours, le train rejette inexorablement des banlieues, des jardins, des forêts, dilue les paysages, hache menu le vert des feuilles.

Les voyageurs sont séparés du pays, soumis à l’injonction de passer. Comme en miroir, les habitants sont séparés du train. Dans une minuscule gare désaffectée de la ligne Arvant-Figeac, un habitant du hameau me raconte cette anecdote : alors qu’il se trouvait aux frontières de la Tchéquie, il découvrit que l’arrêt du train sur le quai s’obtenait là-bas, dans les gares de campagne, d’un signe au conducteur. Ce système prévalait autrefois sur nos lignes secondaires. Lui aurait aimé pouvoir héler, pour se rendre au bourg, ce train qui passe devant sa porte sans jamais s’arrêter. À l’heure où la SNCF projette de faire circuler des trains sans conducteurs, est-ce que l’intelligence artificielle acceptera dans son programme, le signe de la main sur un quai ?

Carnet de voyage de Veronique Béné à découvrir dans le Numéro 61

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