Pérou : les pèlerins de haute altitude
Des éclats de voix me font sursauter. Je viens de m’assoupir quelques minutes, enveloppée dans la chaude atmosphère qui règne désormais dans le bus. « ¡Vamos ! », crient certains passagers qui commencent à s’impatienter. Le véhicule est en effet quasiment plein. Oui, allons-y ! Ce n’est pas que je sois pressée – personne ne l’est, en réalité – mais il nous reste quelques heures de route. Le chauffeur, un petit bonhomme d’une cinquantaine d’années, démarre le monstre. Et c’est parti pour trois jours de folie. Je n’en attends pas moins, en tout cas.
Ce que je sais du Qoyllurity, c’est que c’est le plus grand pèlerinage du continent. Pas moins de quatre-vingt mille personnes se rendent chaque année au sanctuaire perché à 4 500 mètres d’altitude pour y vénérer le Señor del Qoyllurity. Cette idée me donne des frissons, bien que j’aie du mal à imaginer ce que représente une telle foule en pleine montagne. Mais plus que la quantité de pèlerins, ce qui me fascine est la ferveur de ces derniers ; une ferveur qui leur permet de dépasser les effets de l’altitude, du froid, de la faim et de la fatigue pendant cinq jours et cinq nuits, pour les plus braves d’entre eux. Et seule une bonne immersion au cœur de ce pèlerinage m’aidera à comprendre cette ferveur.
À Mahuayani, je retrouve Pedro, un ami quechua de longue date qui a travaillé plusieurs années comme muletier (…) La route asphaltée, qui continue vers Puerto Maldonado et l’Amazonie brésilienne, fait office de marché à ciel ouvert où le pèlerin trouve nourriture, boissons, offrandes et chevaux avant d’entreprendre la dure marche qui l’attend pour accéder au sanctuaire. Sorti de ce bazar local, il devra affronter le premier raidillon – une bonne mise à l’épreuve – à l’issue duquel sa seule envie sera de renoncer à ses prétentions. C’est en tout cas ce que je ressens, en bonne pèlerine novice accablée par le manque d’exercice des derniers mois. Les poumons dans la gorge, je m’arrête pour reprendre mon souffle, constatant que Pedro, lui, n’a pas l’intention de faire de pause. Si je ne veux pas le perdre dans une foule de quatre-vingt mille personnes, il s’agira tout simplement de ne pas le lâcher. Je prends donc mon courage à deux mains, poussant sur mes jambes alourdies par le poids de mon matériel photo. C’est toujours dans ce genre de situation qu’on se dit qu’on en a probablement trop pris, comme d’habitude…
Sur le sentier, le chapelet des pèlerins s’égrène peu à peu, chacun cherchant à trouver son rythme. (…) Hommes et femmes, vêtus de leurs habits d’apparat, portent des dizaines de kilos sur leur dos : gamelles et ustensiles de cuisine, nourriture, instruments de musique, couvertures ; en bref, tout le nécessaire pour survivre trois jours à 4 500 mètres d’altitude. Devant moi, Pedro n’est plus qu’une petite tache à l’horizon, qui commence à se fondre dans la foule des pèlerins devenue plus dense. Nous approchons du sanctuaire.
© Carnet de voyage de Julie Baudin à découvrir dans Bouts du monde n°28
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