
Un vieux rafiot en mer de Chine
– EXTRAIT –
Debout dans la brume humide et matinale de Hong Kong, nous attendons anxieusement sur un quai. L’homme d’affaires chinois qui nous a promis la traversée en cargo entre Hong Kong et Bangkok – dans le cadre de notre voyage autour du monde – est resté évasif sur notre heure d’embarquement.
Nous sommes, Olivier et moi, accoudés à une balustrade face au port. Une multitude d’embarcations tanguent mollement sous l’effet des ondulations de la houle. Les cargos côtoient les sampans. Des esquifs de toutes sortes louvoient dans un indescriptible fouillis maritime, qui semble pourtant ordonnancé par quelque chose qui nous échappe. Pourtant, rien, pas une collision, ni même un froissement de tôles.
« Are you mister Oliver and Lawrence ? » Ces consonances anglaises rehaussent immédiatement notre prestige de « grands voyageurs ». Soudainement, un parfum d’aventure flotte sur la rade de Hong Kong. Instinctivement nous levons le menton.
Enfin, une navette fluviale s’approche, pour s’amarrer brièvement à quelques mètres de nous. L’homme, en pantalon gris et tee-shirt blanc, met ses mains en porte-voix et nous hèle : « Are you mister Oliver and Lawrence ? »
Ces consonances anglaises rehaussent immédiatement notre prestige de « grands voyageurs ». Soudainement, un parfum d’aventure flotte sur la rade de Hong Kong. Instinctivement nous levons le menton.
« Oui c’est bien nous. »
– Montez à bord. »
Fantastique, ça marche ! Nous allons renouer avec l’ancienne tradition des voyages maritimes. Un peu plus loin, dans Hong Kong Harbour (le port), la navette récupère l’officier machine et deux mécanos chinois.
L’officier qui vient de monter sur l’embarcation, prévenant, nous demande quels seront nos rôles à bord et si nous nous rendons bien à Bangkok. « Nous sommes seulement des touristes », répondons-nous en chœur. « Ah ! touristes… c’est très bien ça… », prononce-t-il songeur.
Sous un petit crachin gris, notre cargo nous apparaît enfin. La coque est vert pomme et le reste, d’un gris effacé, car la rouille a remporté des victoires presque partout. Trois grandes grues jaunes, comme des bras métalliques géants, tournoient dans l’air. Elles se dressent sur une barge flottant parallèlement à notre bateau. Notre bateau ! C’est un cargo de fret très divers, battant pavillon chinois. Nous escaladons la coupée qui consiste en un cordage métallique assez raide. Sur le pont la surprise est totale. Le bateau est dans un état effroyable. Nous trouvons l’équipage « gonflé » de naviguer sur un bâtiment aussi délabré. Tout est usé jusqu’à la corde. La mature semble tenir par miracle et la rouille, comme sur la coque, a fait son œuvre dans les moindres recoins.
Un Chinois de l’équipage, fort âgé, semble être au courant que nous ne sommes pas des passagers clandestins. La barbiche au vent, chaussé de pantoufles percées, il nous fait signe de le suivre.
Nous lui emboîtons le pas dans la coursive principale, jonchée d’écorces de fruits secs et de crachats encore frais. La tuyauterie a, par endroits, rendu l’âme et de l’eau suinte d’à peu près partout. Notre cabine : pas vraiment le Queen Mary ! Deux couchettes superposées, à peine conçues pour la morphologie d’un nain chinois, un maigre matelas répugnant, un lavabo sans eau et une peinture décrépie comme le reste. Dans le coin de la cabine, une petite table pliante en formica effrité. Pas question de se plaindre au steward ; d’ailleurs, il a disparu. Nous savions bien que cela ne serait pas La croisière s’amuse, mais quand même, nous ne nous attendions pas non plus à une épave.
Nous restons trois longues journées au mouillage. N’ayant pas grand-chose à faire, nous explorons notre bateau dans ses moindres recoins. La journée, quelques membres d’équipage coordonnent le chargement du cargo qui se fait par couches successives dans les soutes. Tout d’abord, des milliers de peaux de chèvres, de vaches et autres bestioles que nous n’identifions pas. L’odeur est une véritable puanteur et les 90 % d’humidité flottant dans l’air n’arrangent rien. S’entreposent ensuite du bois, du métal, du matériel Hi-fi, des appareils ménagers… Un vrai galion des temps modernes. La cuisine à bord est fermée et nous tenons sur nos maigres provisions.
Carnet de voyage en mer de Chine de Laurent Van Parys à découvrir dans leNuméro 64
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