Dessin d'Eric Tournaire montrant les origines indiennes d'une jeune femme

Éric Tournaire, Interview d’un artiste voyageur

Présents au Rendez-vous du carnet de voyage de Clermont-Ferrand du 18 au 20 novembre 2022, nous en avons profité pour échanger avec des artistes voyageurs publiés au sein du magazine de voyage Bouts du monde. Depuis 2004, il écrit et illustre des carnets de voyage aux quatre coins du monde. Découvrez l’interview d’Éric Tournaire.

D’où est née ta passion pour la peinture ?

Ma mère m’a toujours dit que j’ai commencé à peindre dès mon plus jeune âge. J’aime ce côté magique de transformer une feuille blanche en quelque chose de coloré qui va provoquer une émotion chez la personne qui le regarde.

D’où est née ta passion pour le voyage ?

Ma passion pour le voyage est née complètement par hasard. Au départ, je voulais faire de la bande dessinée mais un des éditeurs que je suis allé voir m’a dit “on n’en fait pas, mais l’on est demandeur de carnets de voyage”.

Bien évidement, j’ai prétendu que je savais le faire ! Et j’ai commencé à me documenter pour réaliser ce premier carnet consacré à la Côte d’Ivoire. J’ai commencé à voyager assez jeune, que ce soit en Afrique ou dans d’autres pays. Réaliser ce carnet de voyage a été une révélation artistique et spirituelle. C’est pour cela que j’ai continué à en faire.

Peux-tu nous partager un moment marquant dans ta vie de voyageur ?

J’ai régulièrement fait des carnets de voyage jusqu’en 2012. Cette année-là, j’ai publié avec un ami un carnet s’appelant “Passeport pour la Touchkanie” qui racontait un voyage imaginaire dans un pays qui n’existait pas. Après la sortie de ce carnet, j’ai été diagnostiqué de la maladie de Parkinson. Au-delà du grand choc physique et moral que cette annonce m’a procuré, j’ai dû commencer à pratiquer le vélo d’appartement deux heures par jour pour lutter contre l’atrophie musculaire et neurologique. À ce moment-là, je me suis dit qu’il n’y avait rien de plus ennuyeux que de faire du vélo sur place. Intérieurement, j’ai pensé : “Si je matérialise les kilomètres parcourus sur une carte, où cela peut-il m’amener ?”.

En une année, les kilomètres virtuels parcourus m’auraient amené jusqu’à Tokyo. C’est pourquoi j’ai décidé, avec mon complice de l’époque, de réaliser un carnet de voyage nommé Le tour du monde en vélo d’appartement. J’ai beaucoup aimé construire ce livre qui comportait deux aspects. Le premier était une invention de ce voyage comme si on l’avait réellement fait. Le second était un journal retraçant l’évolution de la maladie au quotidien. Grâce au sport et au cyclisme, j’ai réussi à faire reculer les symptômes liés à la maladie de Parkinson. Je suis heureux d’avoir pu faire figurer la narration de cette péripétie dans le numéro 49 de Bouts du monde.

Comment fais-tu pour réaliser tes dessins ?

Au départ, lorsque j’illustrais mes premiers carnets, je dessinais toujours à la maison en travaillant d’après les photos que j’avais prise lors de mes voyages. Pour le tour du monde en vélo d’appartement, du fait de ma condition physique, je récupérais sur internet des photographies que les personnes m’autorisaient à redessiner. Il m’arrive donc de dessiner, d’après photos, des portraits, mais je pratique de plus en plus le dessin en plein air, sur des carnets, des paysages, des décors et des personnes rencontrées.

Combien de temps mets-tu pour faire un carnet de voyage ?

Pour un carnet complet, il me faut entre huit mois et un an. Lorsque je fais un carnet, j’aime bien travailler avec une ou deux autres personnes, car ça renouvelle l’esprit du travail et nous pousse à aller plus loin. Seul, on reste dans notre zone de confort. Avec d’autres dessinateurs, on dispose d’un autre point de vue, on ne dessine pas de la même façon et on se complète.

Pour toi, qu’est-ce qu’un bon carnet de voyage ?

Un bon carnet de voyage est un bon équilibre entre plusieurs éléments : des illustrations qui font rêver, un texte qui va nous apprendre quelque chose et nous emmener loin, une composition qui va permettre d’agrémenter les deux ensemble.

Je pense qu’une belle double-page comprenant des éléments organisés harmonieusement apporte un bien-être au niveau du ressenti et de la connaissance, car l’on va pouvoir lire un texte qui raconte une histoire et le regarder en image.

Un conseil à quelqu’un qui aimerait se lancer dans le carnet de voyage ?

Il faut aller à la rencontre des gens et prendre l’habitude de dessiner directement sur place. L’art, dans ses origines, n’est pas une action uniquement décorative. L’art est quelque chose de magique, de sacré, foncièrement humain et avec quelque chose qui touche aux soins, et peut-être un peu au chamanisme…. Il faut donner du sens à ce que vous réalisez et aller à la rencontre de l’humain, peu importe le pays dans lequel vous vous trouvez.

As-tu un projet qui te tient à cœur en ce moment ?

Nous sommes trois à travailler sur un projet appelé “le pays d’où je viens”. Lorsque nous avons travaillé sur le carnet dans un foyer de résidents handicapés mentaux, nous leur avons montré des photos et des dessins de nos voyages. À un moment, une femme trisomique de 50 ans s’est reconnue dans les Amérindiens du Québec dont j’ai montré les photos. Cette femme a eu le flash de se dire “si je suis en dehors des gens dans cette société-là, c’est parce que je viens d’un autre pays”.

Par son handicap et sa condition, elle ne peut pas se déplacer pour voyager. De ce fait, nous travaillons pour la faire voyager à travers nos propres visions de l’univers des Indiens. En tant qu’êtres occidentaux, le regard que l’on peut poser sur les Indiens dépend pour beaucoup des films et des documentaires. Avec ce travail, nous souhaitons faire de la recherche sur nos origines et nous interroger sur cet imaginaire que l’on développe par rapport à des thèmes bien précis.

Retrouvez le carnet de voyage d’Eric Tournaire dans la revue Numéro 45.