Lucie Raynal - GR10 Grande traversée des Pyrénées - Carnet de voyage
Carnet de voyage - France

A quel sens se vouer dans les Pyrénées ?

Il y a parfois des rêves que l’on n’ose s’avouer, de peur de ne pas y arriver ou parce qu’ils finiront par prendre trop de place, parmi la pléthore d’espoirs qui fleurit chaque jour. Quand je suis rentrée d’un an en Côte d’Ivoire, j’ai eu le besoin de m’ancrer à nouveau, de revenir à la source, celle de mes racines et de mes envies sauvages. Le GR10 apparut alors comme une échappatoire, une fuite vitale vers l’avant pour se découvrir encore plus profondément.
Dans les Écrins, au détour d’une cascade, on raconta à Lucie Raynal que les Pyrénées étaient plus sauvages que les Alpes. Dès lors, ne comptait plus qu’une seule chose pour la jeune femme : la traversée du massif via le GR10. Une première tentative d’Est en Ouest. Une seconde dans l’autre sens.
– EXTRAIT –

Avec mon sac déjà trop chargé et mon kilo d’amandes sur le dos, je pris la route pour Hendaye en bus. Ce sac bleu m’avait accompagné partout. De Sicile en Nouvelle-Zélande, d’Australie à Hong-Kong, il était devenu l’élément nécessaire à ma survie, mon toit, ma feuille de route. Qui aurait cru qu’il deviendrait un poids, celui qui me ferait faire demi-tour ?

De Hendaye, je trouvai la marque rouge et blanche des balises qui, je le savais, m’offrirait mes rendez-vous quotidiens, empreints de sécurité et d’aventures. Ce jour-là, les nuages grossissaient le ciel. Je n’avais pas voulu attendre. Il fallait que je parte, absolument ! En y repensant, il était ridicule de se précipiter pour une aventure qui était censée n’être qu’une ode à la lenteur et au moment présent.

Finalement, la météo aurait raison de moi. Mon premier bivouac au bord du chemin, emmitouflée dans mon sac de couchage, c’était sous l’orage que je pris mes premières marques. Réveillée à moitié, je vis une tique sauter sur mon visage. Je l’attrapai en vol, bien trop folle pour la laisser vivre. Au petit matin, mes jambes ne portaient plus ce sac bleu, bien trop lourd. Sous la pluie, j’étais perdue, seule face à la violence de la nature. Les gouttes avaient fini par transpercer ma motivation, et je m’étais arrêtée à la première ventas, retenant les grosses larmes qui montaient. J’affichai ma déception devant cet étranger à qui je demandais, hoquetant, s’il ne pouvait pas me ramener à la civilisation. « Tout ça, pour ça ! » me dis-je. Il m’avait fait la conversation, mais je n’avais pas eu l’énergie de l’échange. Cette histoire, qui avait commencé quelques années plus tôt, finissait là dans la voiture de ce septuagénaire. Il m’avait redéposée à Hendaye, me laissant à mon point de non-retour, avec un grand sourire et toute la bienveillance basque. J’avais pris un train pour rentrer sur Toulouse, ravalant ma fierté, déboussolée.

Toutes ces heures à étudier le topo, à préparer mes étapes, à idéaliser cette marche. Alors, sur un nouveau coup de tête, je repris la route, cette fois-ci pour Banyuls.

Dès lors, le GR10 ne me quitta plus. Il fallait que je reparte. Qu’est-ce que j’allais bien pouvoir faire sinon ? Toutes ces heures à étudier le topo, à préparer mes étapes, à idéaliser cette marche. Alors, sur un nouveau coup de tête, je repris la route, cette fois-ci pour Banyuls. C’est en covoiturage que j’ai rejoins mon nouveau point de départ, en compagnie de deux amateurs de plongée et de leur van. Il était hors de question que je reparte du même endroit. Je n’aurais pas su affronter deux échecs à la fois. Alors quand mes covoitureurs me laissèrent au pied d’une balise, c’était avec un sac plus petit et moins rempli que je pris le départ… à 13 heures ! Autant vous dire qu’il faisait chaud… très chaud, en ce début de mois d’août.

Le manque d’eau  se fit sentir rapidement au niveau de mon talon d’Achille. Mais je continuais d’avancer vaillamment, oubliant l’horreur du Perthus. Après une nuit clandestine au fort de Bellegarde, je finis par prendre mes marques de refuge en refuge. Pour ne pas manquer d’eau et limiter ma peur encore présente de ne pas trouver un lieu digne d’un grand bivouac, je me cantonnais aux repères encore humains, faits de pierres. Des ruines de Panissars au moulin de la Palette, où je visitai des toilettes sèches débordantes de merde, je continuais mon chemin, tâchant tant bien que mal de masser ma cheville en souffrance tous les soirs. À chaque torrent, chaque rivière, mes pieds se glissaient inexorablement dans l’eau gelée, afin de continuer, imperturbable, sur le sentier. Dès les premiers jours, au fond, je savais que j’allais devoir à nouveau abandonner le chemin. Non pas par manque de force cette fois, mais pour pouvoir continuer à marcher, longtemps encore. Je m’étais arrêtée dans une pharmacie pour demander conseil et on m’avait répondu assurément : « Vous risquez la rupture du tendon à continuer comme ça ! »

Découvrez le récit de voyage de Lucie Raynal, racontant sa traversée des Pyrénées via le GR10, dans Bouts du monde 55