Bouts du monde Afrique du Sud
Carnet de voyage - Afrique du Sud

La cité perdue du Kalahari

Depuis 1885, l’histoire de la cité perdue du Kalahari intrigue des générations d’explorateurs. Certains rejetèrent dans les brumes du mythe ce qu’ils ne parvenaient pas à trouver dans les sables du désert. Penché deux années durant sur les cartes de l’Afrique australe, plongé dans les récits conservés à la Bibliothèque nationale, Thomas Desbrières est parti sur les traces d’un explorateur qui tient plus du héros de roman que de l’archéologue.

– EXTRAIT –

« C’est une légende ! » Les mots de la propriétaire des terres de Koppieskraal répondent amicalement à mes questions insistantes sur la « cité perdue ». Aussitôt remontent en moi les rumeurs et nombreuses histoires qui circulent depuis un siècle dans cette région du Kalahari. Comme ce ranger sud-africain déclarant avoir vu une carrière de pierre, ou encore une pirogue abandonnée depuis des siècles dans le désert. Des témoignages toujours imprécis et flous rapportés par des sources non vérifiées racontent à qui veut l’entendre les derniers vestiges d’une civilisation inconnue qui aurait prospéré en Afrique australe.

J’ai franchi 8 000 km depuis la France pour venir ici, à la bordure sud du désert du Kalahari, à deux pas de la frontière tracée au cordeau séparant l’Afrique du sud de la Namibie. À l’inverse du parc naturel tout proche du Kgalagadi Transfrontier National Park, c’est une région de savane isolée et peu fréquentée, tout juste quadrillée par des fermes immenses pratiquant un élevage plus qu’extensif. Attiré par l’aura de mystère, j’espère bien voir de mes yeux l’énigme archéologique qui a pris naissance ici il y a 120 ans. Je souhaite vérifier les hypothèses des explorateurs et s’il est vraiment possible de découvrir les ruines gigantesques dont il est question.

Lorsque je retrouve quatre ans auparavant l’histoire de Gilarmi Farini, celle-ci est abandonnée et oubliée dans son récit de voyage, jamais repris depuis. L’étrange histoire ne manque pourtant pas d’intérêt. Je ne résiste pas à son attrait et me lance sur ses traces, la curiosité excitée par tous les rêves de cité perdue.

En 1885, Farini et son fils Lulu sont parmi les premiers Occidentaux à se lancer dans la traversée du Kalahari alors inconnu. Un voyage aventureux, typique de ce xixe siècle des grands explorateurs, et si fécond en découvertes archéologiques de civilisations oubliées. Farini avoue partir pour découvrir des diamants comme on vient tout juste d’en trouver près de Kimberley, mais son récit devient très vite une description mêlant vie quotidienne, observation géographique et témoignage ethnographique. Au cours de son retour vers la ville de Upington, Farini rapporte alors la découverte de ce qui allait devenir la cité perdue du Kalahari.

« Nous dételons près d’une ruine immense, et dont je n’avais jamais entendu parler. Sur une longueur de près de deux kilomètres s’étend en forme d’arc une ligne de décombres qu’on eût pu prendre pour la Grande Muraille de Chine après un tremblement de terre ; çà et là, entre deux assises, on voit encore du ciment, parfaitement conservé ; toutes les pierres sont taillées, mais celles qui occupent le sommet des écroulements, usées peu à peu sous la friction des sables ou sous les intempéries, ont pris les formes les plus singulières ; quelques-unes ont l’air d’une table à un pied.

À l’intérieur de l’arc on trouve, tous les trente à quarante pas, de petits bassins en forme d’ellipse obtuse, les uns taillés dans un seul bloc, les autres en pierre rejointoyées ; puis, un espace d’une vingtaine de mètres pavé en grandes dalles et traversé par une sorte de croix de Malte, au centre de laquelle devait s’élever un autel ou une colonne, car des tronçons cannelés sont épars sur le sol. Qu’avions-nous découvert ainsi, dormant du sommeil des siècles : un temple, une cité, la nécropole de quelque grande nation ? »

Les quelques lignes contenues dans son récit « Huit mois au Kalahari » suffiraient à enflammer l’imagination d’un archéologue. La découverte d’une construction en pierre taillée d’une telle importance en Afrique australe vaudrait toutes les autres trouvailles de Troie, Cnossos, ou du Machu Pichu. Les deux seules éditions anglaise et française du périple de Farini conservées à la Bibliothèque nationale de France m’apportent les premières pistes. De même pour le rapport lu par Farini devant la très sérieuse Royal Geographical Society de Londres le 8 mars 1886. Je note tous les détails me permettant de reconstituer le périple de l’explorateur, et de localiser le plus précisément possible la cité perdue sur les cartes dans le but de la retrouver.

Pour l’heure, venant de la petite bourgade de Rietfontein, la route R31 et ses chaos de pierres mêlés au sable traître font grincer ma voiture peu adaptée à ces conditions. Les bruits sont alarmants, j’avance péniblement, redoutant à chaque instant une crevaison aux conséquences fâcheuses dans cette région isolée. Mais peu importe, je suis enfin là, dans le triangle délimité par trois grands anciens lacs salés, dénommés pans en Afrique du Sud, équivalents des sebkhas d’Afrique du nord. Les étendues plates et stériles qu’ils forment aujourd’hui occupent les dépressions d’un paysage de savane sèche animée par quelques montagnes en inselberg.

Mes objectifs sont définis depuis longtemps, soigneusement notés sur les cartes et photos satellites que j’ai pu me procurer. Et c’est avec enthousiasme que j’aperçois enfin depuis la piste les différents sites que je me suis donné d’explorer. Il faut dire que la longue route depuis Upington m’a joué des tours agaçants. Je ne suis pas encore habitué à l’hémisphère sud, et j’ai du mal à trouver mes points de repère. La cause de cette désorientation vient de la trajectoire du soleil qui passe ici au nord lorsqu’il est midi, contrairement à ce qui arrive dans l’hémisphère nord où le soleil passe au sud à la même heure. Cela n’a l’air de rien, mais les rythmes du soleil marquent durablement nos perceptions sans que nous y fassions attention.

Résultat, j’avance vers l’ouest quand je suis persuadé de rouler vers le nord. Au bout de quelques heures, j’ai l’impression de m’être complètement tromper de route. Je fais confiance aux rares pancartes mais reste inquiet. Heureusement, il y a peu de routes qui parcourent cette immensité, donc peu de choix à faire.

(…)

Depuis 1932, vingt-cinq expéditions se sont en effet lancées à la recherche de la cité perdue. F. R. Paver et le docteur W. M. Borcherds de Upington en tête, elles fouillent les sables du désert, survolent la région en reconnaissance aérienne, et avancent de multiples hypothèses. Aucune ne parvient pourtant à révéler le moindre signe de construction. Aucune trace ne fut découverte.

Le tout jette un doute grandissant sur les propos de Farini, s’il n’y avait cette photo réalisée par son fils et reproduite dans son livre, sur laquelle on voit clairement des blocs de pierre taillée superposées en équilibre. La question reste ouverte, les hypothèses se suivent, mais le mystère demeure. Les sables du désert auraient-ils recouvert les ruines ?

Comme mes prédécesseurs, j’ai repris l’affaire à mon tour. Deux ans de recherches, et deux autres années pour enfin me décider à partir. Tout d’abord, relire le texte de Farini, et essayer de reconstituer un portrait-robot de son parcours. L’enquête devient un jeu de piste pour ensuite faire coller le trajet avec des lieux réels. La tâche n’est pas évidente pour autant car les dires de Farini ne sont pas très rigoureux. Et la carte publiée dans son livre se révèle hélas trop imprécise.

Néanmoins, le passage sur la cité perdue fournit de bons indices. Ils permettent de s’appuyer sur des points de repère du récit, comme la dune Kji-Kji au nord de la confluence des rivières Nossob et Auob, le plus souvent à sec. Puis de remonter à trois jours de marche au nord de la dune. Trois jours de marche, à raison de 20 à 25 km par jour, cela fait environ 60 à 75 km de distance. C’est là que selon Farini se trouve un « mont inconnu », au pied duquel se trouvent les ruines. J’ai longtemps fantasmé sur ce mont. J’essayais d’imaginer ce qu’il pouvait être, une vraie montagne de roche, une colline, une simple dune.

Qu’avait donc vu Farini pour le désigner ainsi ? Je regardais les quelques photos du désert du Kalahari pour me faire une idée du paysage. Et j’explorais Google Earth, fouillant les images satellite de la zone définie. J’espérais apercevoir un détail significatif au milieu des sables, détecter une ombre suspecte, peut-être les ruines elles-mêmes. Je voudrais faire parler le moindre grain de sable. Mais bien entendu, malgré toutes leurs qualités, les clichés ne sont jamais assez précis pour mon usage.

Carnet de voyage de Thomas Desbrière à découvrir dans Numéro 10

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