Le monde du Nord
– EXTRAIT –
Je n’aime pas le froid et les lieux dépeuplés. Mes envies d’ailleurs tendent généralement vers le sud, là où « ça brasse », les afriques, le bazar, les couleurs et les odeurs. Mais c’est une belle rencontre qui m’a permis de faire mentir mes convictions vagabondes, et qui m’a emmenée tout là haut, au delà du cercle polaire arctique. Laponie. Je ne pouvais rêver mieux pour m’élever à une autre dimension du voyage. Et pour le coup c’est véritablement une autre dimension qui m’attendait…
Paris – Helsinki. La carlingue aspergée de glycol annonce déjà la couleur, ou plutôt la température à venir. Je tremble déjà d’excitation. Descendre de nuit sur la piste verglacée, et sentir l’emprise presque suffocante du froid (il fait un petit -25°c). Sensation vite balayée par un accueil théâtral : au-dessus de nos bonnets, le vert crème mouvant d’une aurore boréale nous arrêtent net sur la route qui nous emmène au chalet. Silence. Je vois le noir du ciel s’ouvrir, danser en fines et longues lumières, puis disparaitre. Bienvenu au pays des songes ? Les Finlandais appellent les aurores polaires « queue de renard rouge ». Certains peuples samis (lapon) racontent que le renard polaire, en parcourant rapidement les vastes étendues enneigées, éjecte de la poussière avec sa queue dans le ciel, ce qui crée ainsi les aurores boréales le long de leur passage. Il se dit aussi ici que l’on peut parfois entendre les aurores boréales…
A 200 km exactement au-dessus du cercle, notre camp de base, Rajamaa, est une petite structure familiale tenue depuis de longues années par Lars et sa femme Kaisu. Nous sommes à mi-chemin entre la mer Baltique et le cap Nord, dans le village microscopique de Munionalusta (sept habitants), posé sur l’île de Pitkasaari (Grande île), elle-même située sur le fleuve Munio qui sert de frontière naturelle entre la Suède et la Finlande. Un lieu pour trois cultures : finlandaise, suédoise et samie. C’est du côté suédois que nous poserons nos sacs mais le fleuve gelé en hiver nous permettra de naviguer (sans rames) entre les deux pays.
En seulement autant de temps qu’il faut pour faire un Marseille-Paris, ce sont les portes d’un monde magique qui s’ouvrent. Au-delà de la différence certaine, d’un pays étranger, d’une culture, c’est la notion d’espace-temps ici qui se transforme radicalement. L’immensité de la taïga, des milliers de kilomètres d’étendue blanche, d’épaisses forêts, de collines et de lacs, le désert humain, le silence pur, l’étirement des transitions entre le jour et la nuit… En février, le jour prend 15 mn chaque matin et chaque soir à la nuit, pour s’installer de façon permanente en été sous le nom de soleil de minuit.
Je découvre une lumière inconnue, celle d’un crépuscule qui n’en finit pas, comme un voile pâle, gris bleuté, qui recouvre lentement le blanc lumineux. Et le froid. Même si côté photo, ça ressemble parfois à un sport de combat à l’envers (il faut enlever les gants), j’ai l’impression d’apprivoiser petit à petit les degrés négatifs en une respiration plus lente et maîtrisée. Et une respiration pure lorsque l’on sait que cette région est la référence zéro en terme de pollution.
Loin de tout repère connu, laisser le corps et l’esprit s’immerger dans une nature d’une beauté et d’une pureté absolues. Les vastes étendues désertiques, l’horizontalité à perte de vue en équilibre sur le vertical des immenses forêts de sapins, mélèzes, bouleaux, hêtres aux branches chargées, s’enfoncer parfois jusqu’aux hanches dans une neige lourde et onctueuse, perdre la trace, retrouver la trace, faire griller des saucisses à la pause-déj dans la cabane de bois, admirer les lumières incroyables des jours, et la voie lactée dans le silence de la nuit… La nature, somptueuse. Mais pas que.
Pour lire la suite du carnet de voyage de Céline Ravier, c’est dans Numéro 17.
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