Carnet de voyage - Vietnam

Le précieux héritage de Réhahn

Pendant dix ans, le photographe Réhahn a effectué un travail remarquable : rencontrer, photographier et documenter les cinquante-quatre ethnies officiellement recensées au Vietnam. Aujourd’hui, un musée gratuit à Hoi An sert d’écrin précieux à ces cultures et ces costumes traditionnels en voie de disparition.

– PORTRAIT – 

l y a la photo de la petite Afghane aux yeux verts, de Steve McCurry. Et puis il y a An Phuoc, 6 ans à l’époque, une enfant de l’ethnie Cham. « Une petite fille aux yeux de chat » avait dit un commerçant à Réhahn, alors qu’il faisait une pause sur le bord de la route pour s’acheter de l’eau. Le photographe est curieux. On lui indique une maison un peu plus loin dans le village. Il rencontre la maman, puis ses deux filles. La première a les yeux vairon bleu et marron, la seconde a les yeux bleus. Hypnotisant. « Un arrière-grand-père français » raconte la maman pour expliquer ce qui semble une anomalie génétique. L’appareil photo est un peu encombrant en ce premier jour de rencontre. Réhahn le laisse de côté. Il revient le lendemain. écoute l’histoire de cette famille en buvant le thé, reste dîner. Puis la maman lui propose de photographier An Phuoc.

Réhahn a déjà suffisamment roulé sa bosse sur les pistes du Vietnam pour comprendre que ce ne sera pas une photo comme les autres. Mais a-t-il conscience alors, en ce jour de 2014, que c’est une image « qui va changer sa vie », comme il le raconte aujourd’hui ? La photo qu’il poste sur les réseaux sociaux fait son effet. « Photoshop ? » demandent les plus sceptiques. Même pas. Réhahn raconte, prouve que c’est une vraie photo. Il reste trois jours dans la famille. Demande s’il peut vendre et publier la photo. « Mais ne dis pas où on habite » répond la maman qui n’a pas envie de voir débarquer cinquante photographes.

Réhahn a le sens des affaires mais ce n’est pas au bénéfice qu’il pourrait tirer de cette image qu’il pense à ce moment-là. « Comment vous remercier ? » demande-t-il. « On n’a besoin de rien » répond cette femme très pauvre. Réhahn propose d’aider à l’installation d’une petite boutique. Hésitations. « Et puis j’ai une autre idée. Je propose de leur acheter un veau, de le faire grandir, de le revendre, puis d’en acheter deux ». Le visage de la mère s’illumine alors. Ainsi se change la trajectoire d’une famille.

« J’ai eu aussitôt le déclic. Que restera-t-il des ces costumes dans vingt ans au rythme de développement du Vietnam ? Un jour les gens les abandonneront ».

Celle de Réhahn, né à Bayeux en 1979, empruntait les routes du Vietnam depuis plusieurs années déjà. Le début de l’histoire remonte à 2007. Il venait rencontrer à Hoi An les deux petites filles qu’il avait parrainées via l’association Enfants du Vietnam. « Nos vies ont changé. J’ai changé leur trajectoire, mais elles ont changé la mienne », raconte-t-il. Les voyages se sont multipliés jusqu’au moment de sauter le pas. Il y a sans doute eu plusieurs déclics mais Réhahn raconte volontiers ce retour en France un jour de février de 2009, après son troisième voyage là-bas. Le ciel gris, les températures hivernales, le terminal de Roissy, le douanier patibulaire qui ne décolle pas les yeux de son téléphone. La transition est brutale avec la douceur de vivre du Vietnam. « J’aime mon pays, mais là, si j’avais pu, ce jour-là, j’aurais fait demi-tour ». La décision est prise. L’année d’après, il vend les parts qu’il possède dans une imprimerie normande et part s’installer au Vietnam avec sa femme.

En 2010, une amie vietnamienne lui propose un voyage à Sapa. C’est là qu’il voit, pour la première fois, les Hmongs noirs. Ils sont habillés en costumes traditionnels faits de chanvre, teints à l’indigo, décorés avec le batik. Mais ce n’est pas du folklore. « Les gens vivent comme cela », lui confie son ami. C’est d’autant moins du folklore que des Nike flambant neuves accompagnent le costume traditionnel d’une femme. « J’ai eu aussitôt le déclic. Que restera-t-il des ces costumes dans vingt ans au rythme de développement du Vietnam ? Un jour les gens les abandonneront ».

Y a-t-il d’autre ethnies à travers le pays ? Le Vietnam en recense cinquante-quatre, mais son amie est bien en peine pour les citer en nombre. Dans la rue, Réhahn voit aussi des Dao, avec la coiffe rouge, vêtus de ces costumes extraordinaires qui nécessitent un an de travail. Dans un restaurant où il a réuni une Dao et une Hmong, Réhahn s’amuse de les voir commander une pizza, et écoute ces femmes qui vont forger sa conviction : il faut documenter les ethnies du Vietnam. 

L’histoire de Réhahn à découvrir dans le Numéro 64