Le village
EXTRAIT :
Février 2018. Le petit bateau jaunes’éloigne du quai de Changji. La ville prend ses distances et rapetisse alors que d’une certaine manière, je me rapproche d’elle. Je me sens bien, pas seulement parce que je prends le large, et que je respire le grand air marin, mais parce que je commence à faire le pas de côté, à voir la ville autrement. Un an. Ce soir, je vais manger du poisson, des gambas et des calamars chez l’oncle Chang avec mes parents, Jordane et sa famille. Elle nous fait découvrir l’adresse d’un pêcheur, qui s’improvise restaurateur, quand quelqu’un de confiance lui demande gentiment une table.
Nous franchissons un bras de mer jusqu’à sa maison, un préfabriqué de bric et de broc, posé sur de grandes dalles de plastique, Lego géants flottant sur la mer. Nous avons apporté avec nous des bouteilles de vin, le soleil se couche sur l’eau d’un beau vert de tourmaline et mon père peint. Finalement Singapour, c’était donc ça ? Un petit village de pêcheurs…
Janvier 2017. En fait, non, ce n’est pas comme ça que tout a commencé. Pas dans cette douceur. Ça, c’est bien après. Pas de coup de foudre, non plus, malgré le maquillage de star de la ville qui en jette avec ses gratte-ciel magnifiques, et ses savants éclats de feux qui succèdent au crépuscule. Tous les soirs, Singapour revêt ses habits de lumière pour de grands shows lumineux.
Elle se mire dans ses bassins, qui reflètent les logos de grandes marques de luxe françaises, elle étire ses bras pailletés haut dans le ciel qui n’est jamais noir. Cette séduction opère le temps d’une soirée. Un voyage se mesure aussi à l’aune d’où l’on vient et au temps que l’on va passer dans ce nouveau pays : trois jours, deux semaines, quatre mois, trois ans, plus ? On ne sait pas toujours. J’ignore lorsque je quitterai cet îlot de quarante kilomètres sur vingt. Vivre dans un pays, est-ce voyager ? Qui vient à Singapour ? Des passagers en transit pour d’autres destinations plus lointaines aux horizons beaucoup plus vastes, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Papouasie…
Des terres du bout du monde qui font rêver, remplies d’animaux sauvages, de poussière, de très grands ciels pleins d’étoiles où des hommes d’ailleurs dessinent leurs rêves en pointillés. Des voyageurs qui rêvent d’Asie du Sud-Est, de cultures anciennes où comme à Siem Reap, les temples d’Angkor se fondent dans la jungle, éclairés par les robes orange des moines. Ou bien des voyageurs qui rêvent de Chine pour voir de plus près ce milliard trois cents millions de Chinois que l’on ne connaît pas… Des pays où l’on peut dormir chez l’habitant, parler aux gens, prendre des trains, des scooters, son pied. Prendre son temps. Carpe diem.
Carnet de voyage de Caroline et Michel Davinroy à découvrir dans Numéro 35
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