Stephen Rostain - carnet de voyage d'un archéologue en Amazonie
Carnet de voyage - Guyane

Les pérégrinations d’un archéologue en Amazonie

Stéphen Rostain est archéologue au CNRS, directeur de recherches au laboratoire « Archéologie des Amériques ». Il est le premier archéologue français à travailler en Amazonie. En près de quarante ans de pérégrinations, il a collectionné bien des anecdotes en parallèle de ses recherches.

– EXTRAIT –

1974, Brest, France

Quand je déclare désirer être archéologue à la conseillère d’orientation de mon lycée de Brest, elle me répond : « Oui d’accord, mais que veux-tu faire comme métier ? ». « Archéologue » ai-je de nouveau dit. Elle me rétorque qu’elle n’a pas cela dans ses fiches car il n’existe pas de filière connue.

Comme pour conjurer ses bristols, je m’inscris par la suite chaque année à des fouilles archéologiques dans des châteaux et des abbayes en ruines ou des sites néolithiques et gallo-romains en France. Une fois majeur, je m’envole vers la Mésoamérique, où je vis les derniers moments coloniaux mouvementés du Belize avant son indépendance, où j’assiste terrifié au conflit armé guatémaltèque entre junte militaire et guérilla, et où je participe aux grandes fouilles du site herculéen de Teotihuacan au Mexique. Vient ensuite l’Amazonie.

 

1986, Cayenne, Guyane française

À peine posé le pied sur le tarmac de l’aéroport Rochambeau de Cayenne qu’on m’emmène visiter la fameuse route des plages qui sinue entre le mont Rorota et le rivage atlantique de l’île de Cayenne. Ce premier contact avec ce monde tropical est douloureux. Arrêté sur le bord boisé de la route, j’en profite pour me soulager dans les herbes sans me rendre compte que j’inonde l’entrée d’un nid de fourmis rouges vindicatives qui m’assaillent en quelques secondes pour me faire part de leurs doléances à coups de mandibules acérées.

Les morsures finissent toujours par tanner la peau, aussi les mois et les années passant, je finis par m’endurcir suffisamment pour pouvoir crapahuter dans l’exubérance chlorophyllienne des tropiques amazoniens. De toutes les façons, l’archéologie est alors quasiment inexistante en Guyane, aux mains de quelques amateurs maladroits, bavards mais peu prolixes. Je lance des projets pour impulser des recherches innovantes. Parmi celles-ci, j’ai envie de tenter l’archéologie aérienne. Comme souvent, des fâcheux affectent une certaine résistance à l’innovation, me prévenant de laisser tomber car il n’y a aucune chance de voir quoi que ce soit à cause de la dense canopée. En bon Breton, j’écoute toujours les conseils mais, par sagesse, je n’en tiens jamais compte. Je m’envole ainsi à l’aube à bord d’un frêle ULM au-dessus des savanes inondables littorales. Très vite, je découvre un tapis gaufré de petites buttes émergeant des herbes noyées, s’étendant sur d’infinies surfaces. J’interprète ce tableau bucolique comme les vestiges d’une agriculture amérindienne ancienne. Mes collègues de travail, issus des sciences de la Terre et peu portés sur l’humain, ne sont pas du tout d’accord, levant les boucliers du conformisme pour clamer que les Amérindiens n’auraient jamais pu réaliser un tel paysage monumental. Racisme et suspicion sont les deux mamelles de l’ignorance.

Il faut dire que l’on traverse ce qu’on appelle localement des « savanes tremblantes ». Un avant-goût de l’enfer. On y marche sans rien voir avec de l’eau épaisse jusqu’à la taille sur un tapis végétal reposant sur des vases mouvantes. Chaque pas présage de s’enfoncer définitivement dans de sombres abîmes. Ce n’est pas une partie de plaisir.

Je dois lutter pied à pied pour démontrer qu’il ne s’agit pas de structures naturelles d’une part, ni de travaux d’esclaves ou de bagnards d’autre part. Mais, certains au crâne épais ne veulent pas en démordre, cela ne peut qu’être naturel. J’ai pourtant arpenté les marais côtiers, les jambes dans l’eau et la tête au cagnard, à l’affût du moindre indice d’une occupation et d’un usage amérindien ancien. Souvent, je n’ai comme réponse que les morsures des nombreuses fourmis, la menace de grosses mygales logeant sur les hautes herbacées et des choses ondulantes glissant entre les pieds dans l’eau noirâtre malodorante. Il faut dire que l’on traverse ce qu’on appelle localement des « savanes tremblantes ». Un avant-goût de l’enfer. On y marche sans rien voir avec de l’eau épaisse jusqu’à la taille sur un tapis végétal reposant sur des vases mouvantes. Chaque pas présage de s’enfoncer définitivement dans de sombres abîmes. Ce n’est pas une partie de plaisir. Ainsi, entre 1773 et 1777, un corps expéditionnaire hollandais de 1 200 soldats est envoyé d’Europe dans les savanes tremblantes de l’Est du Surinam afin de pourchasser des groupes d’esclaves fugitifs. Alourdis par leurs pesants bardas, ils sont engloutis par la boue et seuls 10 % d’entre eux survivent pour revenir penauds de cette foireuse épopée.

Toujours est-il qu’il faut attendre près de vingt ans pour obtenir les preuves irréfutables de l’origine amérindienne des buttes, grâce à une recherche réunissant divers spécialistes qui les datent de 700-900 ans et déterminent à partir de microparticules botaniques qu’on y cultivait autrefois du maïs, du manioc, des courges, du piment, etc. Un jardin d’Eden amazonien, en quelque sorte.

Carnet de voyage de Stéphen Rostain à découvrir dans Bouts du monde 54

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