Description
Longtemps, j’ai préféré les lignes de crêtes dégagées aux marches dans la forêt. La géographie du Népal imposait presque de choisir son camp : la jungle au sud ou les montagnes au nord. L’affaire, me concernant, était vite entendue. Mais avant de prendre de l’altitude, l’impatience accompagnait chacun de mes pas : il fallait d’abord traverser de hautes forêts, empêchant d’admirer les sommets enneigés.
Mon inconscient associait alors la jungle dense aux mauvaises rencontres que l’on peut faire en voyage : des araignées, de féroces canidés, ou pire, des serpents. Faut-il être un imbécile… Je n’ai jamais parlé de cette représentation simpliste à Étienne Druon. Qu’aurait-il dit, lui qui se sent comme un poisson dans l’eau au milieu de la jungle, quand bien même guette le jaguar (revue Bouts du monde n° 36) ? En Équateur, il a témoigné du drame que vivent les Shuars, peuple mythique de l’Amazonie, déchiré entre ceux qui combattent l’industrie minière, et ceux qui y sont favorables, persuadés que l’extraction de cuivre amènerait progrès et confort à leur communauté.
À Stéphen Rostain aussi, j’ai tu les a priori qui m’habitaient à propos de la jungle. Qu’aurait-il dit, lui qui fut le premier archéologue français à travailler en Amazonie ? Pendant quarante ans, il a mené sa carrière comme un sacerdoce : prouver à une communauté scientifique hésitante que l’on peut trouver sous la canopée les signes d’une agriculture amérindienne ancienne. Il n’en faut pas plus pour faire vagabonder l’imagination. Peut-être y trouverait-on aussi les Cités d’or ?
Et si c’était l’enfance qui reliait chacun de nous à la forêt ? Stefano Faravelli, qui dessinait déjà des forêts dans les marges de ses cahiers d’écolier, a accompagné une expédition scientifique à Madagascar. Il les représente depuis avec la précision d’un naturaliste, la sagesse d’un philosophe ou l’imagination d’un enfant.
Lorsqu’elle était petite, Charline Gerbault construisait des cabanes ou des petits chalets en bois. Bien des années plus tard, avec son compagnon Kares Le Roy, elle a fait des forêts de France son terrain de jeu, dénichant des cabanes au bord d’étangs ou au sommet des arbres. Eux qui ont tant parcouru le monde, c’est ici qu’ils ont choisi de réveiller leurs sens, mis à mal par une vie à cent à l’heure.
Dans la forêt de la Montagne Noire, dans le Tarn, Christophe Pons-Capitaine a découvert bien plus que des cabanes. Pendant un an, il y a passé cinq jours par semaine, dormant sous la tente ou bien dans son hamac, par tous les temps. Sa quête consistait à apprendre l’histoire de la forêt, sa géographie, sa faune et sa flore afin de se reconnecter à cet environnement si proche dont il ignorait tout. L’odeur du humus, le craquement des feuilles mortes sous les pas ou un moment de contemplation à l’ombre d’un chêne ont retissé des liens enfouis.
William Mauxion