Geoffrey Bire Les traces traces de la panthère
Carnet de voyage - Kirghizstan

Les traces de la Panthère

Geoffrey Bire a parcouru les montagnes du Kirghizstan, pour relever notamment les pièges photographiques installés quelques mois plus tôt, dans l’espoir qu’y serait immortalisée l’insaisissable panthère des neiges. En octobre 2016, il a participé au programme Panthera, mené par l’ong Objectif science international pour effectuer un suivi de la faune sauvage.

– EXTRAIT –

Aéroport de Bichkek, 5 h 30 du matin. Je suis accueilli par Bastien, naturaliste et éducateur scientifique pour osi-Panthera depuis plusieurs années. Il est installé au Kirghizstan de juin à fin septembre, il est berger dans le Sud de la France l’autre moitié de l’année. Nous rejoignons en taxi, dans la nuit noire, la maison d’Aïda et j’aperçois furtivement des bribes de ce nouveau pays qui défilent derrière les vitres de la voiture. Mon excitation est telle que je ne parviendrai pas à dormir une fois arrivé… Ceci se prolonge le lendemain quand nous nous dirigeons, avec le groupe de volontaires quasiment au complet, vers le lac Song Köl, au centre du pays. J’alterne entre siestes de vingt minutes et attention constante pour ce nouvel univers.

Le Kirghizstan, en dehors de la capitale, est principalement rural. La fine route que nous suivons, faite de graviers, se transforme en sentier, puis en piste à mesure que nous approchons du lac. Nous passons la nuit au village de Teuleuk, accueillis dans la famille d’un garde-chasse. La maison que je découvre est chauffée par un poêle dans la cuisine, où n’importe quel déchet sert de combustible. Il y fait très chaud, le mobilier est sommaire (des tapis en feutre au sol pour s’asseoir, des coussins, une table et quelques chaises, une télé sur laquelle est diffusé un match de football kirghize).

Le peuple kirghize est cavalier. Depuis toujours. Le cheval est le principal moyen de locomotion, et je suis impressionné par l’aisance avec laquelle les hommes et les enfants se meuvent sur leurs montures, n’ayant moi-même jamais eu l’occasion de monter par le passé. Je commence d’ailleurs à légèrement me questionner sur les quinze prochains jours à cheval. Le lendemain nous quittons la maison pour grimper en van au lac de Song Köl afin d’observer l’avifaune riche en cet endroit. Nous arrivons sur le plateau à trois mille mètres d’altitude au terme d’une piste tortueuse et mouvementée, impraticable en hiver. La journée défile vite, le ciel est incroyablement bleu, strié de nuages. En toile de fond, une haute chaîne de montagnes enneigées se dessine, et les quelques yourtes de bergers installées là au printemps sont en train d’être démontées pour la transhumance des troupeaux. Ce soir-là, nous retournons dormir à Teuleuk, dans la petite maison finalement douillette et confortable. Le lendemain nous reprenons la route, en van, pour Naryn, une grande ville située au centre du pays. La route qui y mène est étonnamment large, fréquentée par quelques voitures, camions et bus. Le territoire regorge de ressources minières et nous passons devant plusieurs concessions exploitées principalement par de grands groupes industriels canadiens ou chinois.

Nous arrivons à Naryn, le long de la Lenine Street et emménageons pour la nuit dans un grand bâtiment de béton faisant office de maison d’hôte.  L’appartement est simple et confortable. Dans ma chambre, je peux à ma guise alterner entre plafonnier classique et luminaires clignotants colorés disco pour m’endormir, paisiblement épileptique. Nous faisons le plein de vivres au marché local pour l’expédition que nous allons mener en autonomie complète et qui commence le lendemain. Des kilos de pâtes, de riz, de viande de yak et de mouton, un peu de miel, du sucre, de la confiture et du pain mais aussi de l’essence pour le réchaud qui, heureusement, ne gèlera pas, gage de bonne qualité (il arrive que l’essence soit « coupée » avec de l’eau). Le lendemain nous rejoignons difficilement le lieu-dit de Eky-Naryn, le van a du mal à grimper la piste recouverte d’une fine pellicule de neige tombante. Le froid glace et gifle les visages. Nous sommes accueillis par des bergers. Dehors les chevaux sont sellés. Les affaires sont déchargées, empaquetées dans les lourdes sacoches qui seront accrochées sur les flancs des montures. Nous sommes invités à boire un bol de koumiz (lait de jument fermenté), stocké dans un énorme tonneau à l’intérieur de la petite maison. Le goût m’était inconnu, acide et indescriptible, et je suis l’un des seuls à finir mon bol. Puis je rejoins mon cheval et me retrouve dans une situation comique : je n’ai jamais monté, et je ne sais donc absolument pas comment enfourcher la selle…

Le problème est vite réglé et nous entamons la marche au pas, encadrés par les rangers de la réserve vêtus de leurs grands imperméables kakis. Sous les flocons, le vent latéral gifle la moitié exposée de nos visages. Nous faisons connaissance avec des rangers de la réserve, Joki, Makou et Takou. Ils sont kirghizes et âgés de 25 ans – pour Makou le plus jeune – à une quarantaine d’années pour Joldoshbek (littéralement « fils de Joldosh »), vice-président de la réserve de Naryn. Nous apprendrons à nous découvrir au fil des jours. Habitués à cet environnement, ils nous guideront et nous accompagneront tout le long de l’expédition, encadrant la caravane de chevaux chargés du matériel, préparant les repas, relevant les pièges photo de la réserve. Makou est un solide gaillard, père d’une petite fille depuis peu, d’humeur joviale. Nous échangerons beaucoup de choses malgré la barrière des langues, russe et kirghize, les deux langues couramment parlées au Kirghizstan. Cavaliers depuis l’enfance, ils sont impressionnants de par leur agilité sur leurs montures, principal moyen de locomotion dans les zones rurales qu’ils habitent. (…)

Carnet de voyage de Geoffrey Bire dans Numéro 32

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