Carnet de voyage - Japon

Marche millénaire sur le Kumano Kodo

Marcher le long du Kumano Kodo, dans la péninsule de Kii sur l’île de Honshu, a enchanté Solveig Placier, qui a placé ses pas dans ceux de pèlerins millénaires, en croisant les doigts pour ne pas marcher sur la queue d’un serpent.

– EXTRAIT –

En cette belle matinée ensoleillée, nous disons au revoir à notre hôtesse Rieko, généreuse Japonaise du troisième âge dont l’incrédulité est manifeste : quelle idée, en cette extrême fin d’octobre, de marcher cinq jours sur le Kumano Kodo et de dormir sous la tente, renonçant ainsi aux réconfortants repas à déguster assises sur un tatami, revêtues d’un élégant yukata ? Il est vrai que la préfecture de Wakayama est arrosée été comme hiver et qu’elle vient de souffrir le passage du typhon Trami. À l’office de tourisme de Kii-Tanabe, celui qui gère, non sans un certain monopole, la répartition des hébergements parmi les pèlerins de l’an 2000, nous apprenons que le soleil se maintiendra toute la semaine. Quelle chance. Nos pieds ne devraient pas trop glisser sur les vénérables pavés du chemin ni sur les racines noueuses des cèdres japonais.

Engaillardies par cette nouvelle, nous prenons le bus qui nous emmène vers le départ de notre première étape : Takijiri-oji. C’est là que, aux XIIe et XIIIe siècles, lors de l’âge d’or du pèlerinage, des foules entières se pressaient aux abords du tori d’entrée de la route Nakahechi. Aujourd’hui, nous sommes une dizaine de randonneurs, tout au plus, à nous encourager en ce début de marche. Le cœur du sanctuaire se trouve quarante kilomètres plus loin. Nous y parviendrons le surlendemain.

La montée vers Takahara, bien qu’abrupte, nous occupe moins de trois heures. La terre, les graviers, les gros cailloux et les racines sont cléments. Nous nous hissons, maison sur le dos, toujours plus haut sur le sentier et arrivons rapidement devant notre première attraction : un éboulis de rochers à travers lequel les femmes sont invitées à se glisser pour se souhaiter une grossesse heureuse. La métaphore est simple : nous nous extirpons de cet amas comme le nouveau-né s’extrait du vagin de sa mère. C’est que le Japon adore vous expédier via toutes sortes d’installations pour augurer des événements joyeux. Au Todai-ji à Nara par exemple, on vous invite à traverser une colonne grâce à un trou aussi large que la narine de la statue de bouddha hébergée par le temple. L’illumination vous trouvera alors dans votre prochaine vie.

Nous nous endormons, déjà bienheureuses alors que le pèlerinage vient seulement de démarrer et que le Saint des saints est encore loin.

Les arbres ainsi que les rochers se suivent et se ressemblent. Le chef d’orchestre de ce chemin de pèlerinage est le credential, à tamponner de manière régulière. Le goût japonais pour les sceaux trouve ici l’une de ses plus belles expressions. Les motifs sont plus kawaï les uns que les autres. Aujourd’hui, nous en collectons trois et nous nous prenons très rapidement à ce petit jeu manuel. Au revers du credential fourni par l’office de tourisme de Kii-Tanabe figure la trame dédiée aux cachets du Camino Francès. C’est que les deux chemins de pèlerinage sont jumelés depuis 1988 et le Kumano Kodo inscrit à son tour sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco, en 2004. Deux chemins aux antipodes l’un de l’autre, deux chemins émanant de fois différentes, deux chemins réunissant pourtant les mêmes spécimens : le pèlerin et le randonneur, le premier type s’observant quand même plus facilement en Espagne qu’au Japon.

Arrivées en haut de la montagne, à Takahara, nous admirons ses pentes couvertes de rizières baignant dans une lumière dorée de fin de journée d’été indo-nippon. Les fleurs champêtres pullulent devant les façades des maisons en bois. Joli tableau bucolique montrant une nature proprement domestiquée. À la question « où va-t-on planter notre tente ? », Yui, jeune maman japonaise, répondra, sans nous demander notre permission : « dans mon jardin ! ». Et voilà que nous sirotons nos verres d’eau, attablées, éclairées, protégées des moustiques, en profitant d’une vue époustouflante sur la montagne rizifiante. Yui, son mari Atsushi et leur bébé viennent de Kyushu. Ils voulaient s’installer en pleine nature et au contact de touristes étrangers. S’implanter sur le chemin du Kumano Kodo était une idée avisée. Nous nous endormons, déjà bienheureuses alors que le pèlerinage vient seulement de démarrer et que le Saint des saints est encore loin.

Carnet de voyage à découvrir dans le Bouts du monde 63

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