Description
Il y a quelques années, j’avais déposé sur un compte bancaire hébergé en Autriche un petit paquet d’euros afin d’obtenir un visa pour le Gorno-Badakhchan, avec le sentiment diffus que cela revenait à jeter de l’argent par la fenêtre. Une même circonspection avait accompagné l’envoi par courrier de mon passeport. Celui-là, ce n’était pas certain que je le revoie un jour. Et puis le précieux sésame est arrivé, l’air de rien, même pas en recommandé, pendant que je préparais mon sac à dos pour le Pamir, au Tadjikistan. Voyager en Asie centrale nécessite une sacrée dose de confiance dans le bon déroulement des événements pour passer les frontières, éviter de casser l’essieu de la marschoutka dans une ornière, ou bien échapper aux projets de la maréchaussée locale concernant votre portefeuille.
N’allons pas nous plaindre, les caravanes de chameaux de Bactriane qui traversaient le désert du Taklamakan ou la Transoxiane rencontraient bien d’autres difficultés. Outre les bandits de grands chemins, la géopolitique bien souvent s’en mêlait et le Khan de Boukhara avait vite fait d’enfermer, dans le meilleur des cas, les visiteurs venus de Chine ou bien d’Europe et qui ressemblaient plus ou moins à des espions.
« Voyager seul dans ces contrées synonymes de danger et d’inquiétude demandait du culot et un brin de folie », écrit un siècle plus tard Riyad Bouamran alors qu’il s’apprête à franchir le Khyber pass, col mythique entre le Pakistan et l’Afghanistan où s’acheva aussi l’aventure de Nicolas Bouvier. « Un périple comme celui-ci se prépare minutieusement et si mes amis s’imaginent souvent que je pars le nez au vent, ils sont loin d’imaginer la rigueur et la discipline mises dans la préparation de ces voyages. »
Cela sera-t-il suffisant pour éviter « les tracasseries » qui ne manquent pas de se présenter aux voyageurs les plus optimistes ? Vincent Robin-Gazsity et Florian Molenda n’y ont pas échappé, mais ils l’ont bien cherché : quelle idée aussi de traverser à pied le no man’s land qui sépare l’Ouzbékistan et le Tadjikistan ! Pour Anne et Laurent Champs-Massart non plus, tout ne s’est pas passé comme prévu : qu’importe, au Turkménistan, pays façonné par l’absurde, les voyageurs sont préparés à l’improbable.
Mais peut-on s’y habituer ? La disparition de la mer d’Aral est un vertige qui étreint les voyageurs ; là, depuis qu’il n’y a plus d’eau, on peut exploiter des gisements de gaz. Le véhicule dans lequel a embarqué Virginie Bouyx roule sur les abîmes dans un nuage de poussière, près de puits de forage qui ont envahi le fond de la mer. Rien cette nuit-là ne parviendra à réchauffer la voyageuse. Le réalisateur Christophe Raylat n’a pas eu bien chaud non plus sur le glacier Fedchenko, monstre de glace situé à 4 000 mètres d’altitude et qui donne naissance à l’Amou-Daria, fleuve mythique qui ne reverra plus jamais la mer d’Aral. Cela fait une vingtaine d’années que le photographe Yves Maillière a la certitude que cette histoire est terminée. Restent les rues de Moynaq et on serait tenté de n’y voir qu’un décor de film.
Le scénario qu’a vu Stefano Faravelli à Kashgar en 2001 semblait écrit d’avance. Vingt ans plus tard, la Chine martyrise la mythique cité ouïghoure, carrefour des routes de la Soie, qui ne semble plus subsister que dans son petit carnet de voyage. Au fil des pages, une histoire millénaire qui fut de tout temps au centre de la civilisation mondiale.
L’histoire est souvent un prétexte pour prendre la route vers l’Asie centrale. L’accordéoniste Adrien Séguy en avait une belle à nous raconter. Il paraît que son instrument est né quelque part le long de ces chemins de légende. Il ne restait qu’à trouver où.
William Mauxion