Tokyo schizo
– EXTRAIT –
Le Japon n’est pas un pays qui m’attirait. J’en avais peu d’images. Seulement celles des films de Kurusawa ou de Miyazaki, onirisme et visions de temps lointains, d’une société, il me semblait, depuis bien longtemps révolue, une époque passée aux accents traditionnels exacerbés. Des villes, j’attendais une modernité grandiose, une débauche de technologie déplacée, mélangée à une propreté et un calme angoissants. Moi qui aime le bazar, la promiscuité et les surprises des villes mal rangées… Et puis j’ai été entièrement conquise.
Les villes japonaises sont compliquées. L’apparente simplicité qu’on y perçoit au début, dûe à la modestie des architectures et à la quiétude qui y règne, n’est qu’une façade. Ces villes abritent en fait toute la complexité de la culture japonaise : mélange de modernité avant-gardiste et de traditions ancestrales et immortelles, de politesse excessive et d’impudence surprenante. La ville et la vie nippones sont construites sur ces ambiguïtés qui se déclinent à travers les constructions, les ambiances, les comportements, jusque dans les moindres détails… Comme si une nation entière cultivait la double personnalité.
Parler de villes complexes est complexe ! Pour les raconter, le mieux est de dessiner. Tokyo est un agglomérat de villages. Encore plus que dans d’autres capitales, les quartiers se distinguent les uns des autres. Marcher à travers Tokyo est comme marcher à travers une multitude de petites villes avec chacune son organisation, son ambiance, son architecture et son mode de vie.
(…)
Avant de plonger dans cette folie et pour ne pas trop se surprendre par ces contrastes, il faut s’arrêter dans un parc. Transition végétale bienvenue, le coeur de Tokyo abrite plusieurs jardins. On connaît l’art des jardins japonais, mais le pays excelle tout aussi bien dans les parcs. Grandes pelouses ombragées, multiplication d’arbres et d’essences, libres de toutes contraintes.
Et si, par chance, les cerisiers sont en fleurs, c’est un majestueux spectacle auquel on assiste, avec cette effusion de pétales illuminant le ciel et tournoyant dans les airs, aussi éphémère que l’attroupement d’émerveillés qui s’amassent alors au pied des arbres, le nez en l’air et la photo preste. On aperçoit, derrière les frondaisons du parc de Shinjuku, les immeubles du quartier éponyme.
Cet air de Central Park ramène le marcheur à la réalité. Bien que le parc soit étendu, suffisamment pour nous extraire de la rapidité de la ville, cette dernière est bien là, tout autour de nous. Appelés par ces tours qui dépassent au-dessus des arbres comme des têtes de curieux tentant d’entrevoir ce qui se passe ici, on s’extrait de ce calme pour pénétrer dans le quartier peut-être le plus emblématique de la ville.
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