Carnet de voyage en Afghanistan. Photographie d'Emmanuel Bouyx
Carnet de voyage - Afghanistan

Afghanistan, pays perdu

Quand elle était enfant, le centre du monde de Virginie Bouyx se situait quelque part au-delà de l’Hindou Kouch, en Afghanistan. Ce pays qui a bercé ses jeunes années, elle n’y a pourtant jamais mis les pieds. Mais les histoires contées par son père, qui y menait des missions géologiques pour le compte du CNRS, ont alimenté des années durant l’album familial.

– EXTRAIT –

Alors que je commence à écrire ces lignes, je me demande, une fois encore, si j’ai une quelconque légitimité à le faire. Je ne connais pas l’Afghanistan. Je n’y ai jamais mis les pieds. Je n’en étais pas loin pourtant, en 2004 ou 2005 : j’aurais dû y retrouver une cousine qui y travaillait, mais une vague d’attentats l’a encouragée à me dissuader de mettre ce projet à exécution. Son frère, lui, y est allé. Il a même travaillé dans le bar de Marc Victor – immortalisé par la série Kaboul Kitchen – et a été élu « meilleur barman de Kaboul ». Moi, pendant ce temps, je me contentais d’un stage au siège parisien d’Afrane Amitié franco-afghane, une ONG active dans le pays dont je suis restée plus ou moins proche. Autant dire que ce sont mes cousins, parmi tant d’autres, qui devraient prendre la plume.

D’un autre côté, ce pays que je ne connais pas a bercé mon enfance. L’Afghanistan, c’était le grand voyage de mes parents. Ceux-ci n’avaient rien de hippies en quête de paradis éphémères. Mon père travaillait en Afghanistan, ou plutôt, il y a effectué, dans le cadre des missions géologiques du CNRS successives auxquelles il était rattaché, des séjours annuels de plusieurs mois de 1969 à 1977 – en gros jusqu’à ce que le coup d’État d’avril 1978 puis l’invasion soviétique de décembre 1979 mettent un terme aux travaux des géologues français sur le terrain. J’aime à croire que ses séjours et ses voyages, même s’il était à un âge – entre 35 et 40 ans – où le temps passe plus vite et s’il avait déjà pas mal vécu, l’ont fait grandir, d’une certaine manière, apportant de nouvelles pierres à son histoire. Et partant, à la mienne, qui n’avait pas encore débuté.

Huit ou dix jours à rouler sans relâche, à travers l’Allemagne de l’Ouest, l’Autriche, la Yougoslavie puis, selon l’envie du moment, le nord de la Grèce ou la Bulgarie et enfin la Turquie, l’Iran et, après la frontière, la grand-route Hérat-Kaboul. Curieusement, ce n’est pas de cela dont mon père parle le plus

En 1975, il a amené là-bas ma mère. Paris-Kaboul en voiture, ce trajet qu’il a effectué trois fois pour apporter matériel et véhicules mais aussi pour économiser les crédits, leur avait tenu lieu de voyage de noces. Huit ou dix jours à rouler sans relâche, à travers l’Allemagne de l’Ouest, l’Autriche, la Yougoslavie puis, selon l’envie du moment, le nord de la Grèce ou la Bulgarie et enfin la Turquie, l’Iran et, après la frontière, la grand-route Hérat-Kaboul. Curieusement, ce n’est pas de cela dont mon père parle le plus. Je ne peux donc qu’imaginer les arrêts dans des auberges autrichiennes, les changements de climat et de paysages, les routes qui deviennent plus mauvaises au fur et à mesure que l’on avance vers l’est, les montagnes qui se dessinent à l’horizon. Mais au fil des années, lui dire par exemple, « Mon amie Elena vient de Plovdiv » ou bien « J’ai pris un billet pour Ljubljana », entrainaît des réponses du type « Ah, Plovid, oui, j’y suis passé, il y a des ruines romaines je crois » ou bien « Oui, c’est assez joli Ljubljana. Bon, je n’y suis jamais resté longtemps ».

Les trajets de ce type cependant ne peuvent qu’être ponctués d’incidents divers et de cet aspect-là, au moins, j’obtenais l’écho lorsque l’on pouvait en tirer quelque chose de cocasse. En juillet 1973, mon père avait embarqué dans ses bagages un ami peintre et écrivain qui le suivait sur un coup de tête. Dans un coin d’Anatolie, alors que la nuit approchait, ils avaient dépanné deux jeunes Iraniennes et leur camarade d’université français, très seizième, qui se rendaient à Téhéran pour les vacances et avec lesquels ils avaient terminé le voyage (…)

C’est en Turquie, encore, qu’en lisant les journaux, mon père et son ami avaient appris le coup d’État de Daoud, cousin du Roi Zaher Shah, survenu le 17 juillet. À l’ambassade de France, on leur avait conseillé de continuer jusqu’à Machhad, dans le nord-est iranien, puis de suivre les recommandations de l’agent consulaire présent sur place – lequel leur avait confirmé qu’ils pouvaient passer la frontière sans risque. À Kaboul, ils avaient retrouvé mon oncle et ma tante, venus en avion, et le peintre Aziz Tarzi, lui aussi cousin du roi déchu, rencontré à Paris et qui habitait Microrayon, le quartier moderne de la ville, construit par les Soviétiques et dans lequel on disposait d’eau courante certains jours de la semaine.

Carnet de voyage de Virginie Bouyx à découvrir dans Bouts du monde 54. Photographies d’Emmanuel Bouyx.

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