Le Svalbard, peinture sur photographie de Férial
Carnet de voyage - Norvège

L’âge de glace

Une couche de neige et une couche de charbon enveloppent l’histoire du Svalbard. Les rues de Longyearbyen et Pyramiden racontent l’épopée de cette terre de farfelus en quête de fortune. Le passé du joyau arctique fut calamiteux, qu’en sera-t-il de son futur se demande la photographe Férial posant son regard au loin pour s’entretenir avec les ours polaires et les icebergs à la dérive.

-EXTRAIT-

Les flocons couvrent, un à un, les carcasses de tôles rouillées, les squelettes démembrés de l’activité manufacturée, les épaves de bateaux nonchalamment abandonnées. Sur un porche architecturé, des bois de rennes enchevêtrés, fièrement exposés, ornent l’entrée. Une partition organique bien orchestrée fait tinter le blizzard, les âmes évaporées. L’édifice en rondins et lattes brutes, dans le jus, dévoile un clone d’un film de Sergio Leone. Il était une fois dans le Nord, l’homme à l’harmonica a troqué sa fiole de whisky pour l’élixir d’or. Le far west aux portes de l’Arctique.

J’ouvre la porte comme on entrerait dans un saloon, l’accueil est chaleureux, il règne une ambiance cocoon. Le poêle en fonte réchauffe la peau, je retire mes godillots. Il plane un parfum de cannelle importée et de bière locale pressée, la mousse de Spitzbergen coule dans tous les gosiers.

Une fois la gueule terrifiante de l’ours empaillé contournée, je découvre, au fond du couloir, ma chambrée. Sobre et minuscule, je reluque la couette et son volume, l’épais duvet m’invite sous ses plumes. Je m’enfonce dans cette ambiance ouatée avec félicité. Il sera bien temps de fureter, l’heure est propice à rêver. La neige enveloppe mes secrets.

De ces lieux hors normes émane une étrangeté bouleversante et vivante. Un temps suspendu, balayé par les feux follets des vents glaçants. La matière rongée devenue poussière retournera, peu à peu, à la terre mère.

Par la fenêtre, la silhouette de bronze d’un mineur s’habille de poudre, la torche levée vers le ciel immanent, sa lumière implore le firmament. Gloire aux hommes de peine, gloire aux temps anciens, le charbon en a tué plus d’un.

Je me surprends à remonter le temps ! Des sagas islandaises aux Vikings, tout ici-bas à la saveur des grandes épopées. Les flots et le blizzard ont emporté les vies. Souvenirs évaporés dans l’oubli. Je respire à pleins poumons la fraîcheur du soleil qui s’enfuit. Les « montagnes pointues », découvertes au hasard d’une navigation par Willem Barentsz me donnent le tournis. La faim, le froid et le scorbut ont eu raison de ces Hommes aux mille buts. La chasse à la baleine, aux morses et aux renards a creusé leurs tombes avant le festin sans destin. Un eldorado convoité puis avorté avant l’ère industrielle et son apogée.

Les anciennes installations minières accrochées à flanc de montagne attestent d’un passé poignant. La mine n° 7 dans la vallée d’Adventdalen est la dernière en activité, témoin d’une histoire loin de l’éden.

Le Svalbard reste le territoire sauvage le plus protégé au monde. La vie y est difficile, les éléments mettent à rude épreuve la nature et les hommes. Le soleil de minuit éblouit jour et nuit, l’obscurité polaire enténèbre le solarium. Un nouvel « Âge de glace » se prépare sous ces latitudes.

Croix, campements de fortune, ossements, vestiges soviétiques, dispositifs scientifiques, manufactures abandonnées, carlingues rouillées, épaves, pierres funéraires, lieux de culte et chemin de fer. Il est interdit de déplacer ou d’emporter le moindre témoignage d’un passé emblématique culturel, historique ou organique. De ces lieux hors normes émane une étrangeté bouleversante et vivante. Un temps suspendu, balayé par les feux follets des vents glaçants. La matière rongée devenue poussière retournera, peu à peu, à la terre mère.

Carnet de voyage au Svalbard – Férial – À découvrir dans Bouts du monde 58

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