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Carnet de voyage - Russie

Le goulag ? Au bout du quai !

Tout avait pourtant bien commencé : la guichetière de la gare d’Irkoutsk parlait français ! Après une première semaine de noyade dans le cyrillique et les borborygmes éructés par les soldats portant haut l’étendard de la bière locale : un bonheur.

Dans le compartiment, nos voisins -Mongols- cachaient diverses marchandises de contrebande dans les coffres des banquettes du compartiment, sous nos sacs à dos. Et des femmes accrochaient deux ou trois manteaux de cuir dans tous les compartiments en nous faisant comprendre : « Aux douaniers russes, soutenez qu’ils sont à vous ». Pourtant, le danger  ne devait pas venir de là…

Nous arrivons à Naouchki, poste frontière russe avec la Mongolie. Le train stoppe. La douane monte. Un coup d’œil à nos amis mongols : sereins ! La douanière-chef est déjà inquiétante : talons hauts et chignon haut, veste et mini-jupe d’uniforme une taille trop petite, vociférante, elle fait un peu penser à une kapo caricaturale de films de série « C ». Elle se montrera à la hauteur…

Nous lui rendons le formulaire de déclaration de devises qu’on nous a remis. Sachant qu’il est strictement interdit de sortir les roubles du pays, nous n’en avons plus. Nous avouons détenir 100 dollars US, ce qui est très au-dessous des 5000 autorisés à l’import-export. Stupeur ! On nous hurle de descendre du train. Refus. On nous en expulse manu militari. A peine le temps de prendre nos sacs qui découvrent ainsi 1000 briquets, 5000 cigarettes et 200 sachets de pruneaux d’Agen « Maître Prunille » (sic !), sous l’œil indifférent des douaniers qui nous surveillent.

A 6000 km de ton ambassade, tu oublies tes reflexes de soixante-huitard

On nous installe dans le hall minable de la gare. Nous y voyons arriver les autres naïfs qui ont déclaré posséder des devises. Puis on se fait confisquer nos passeports. J’en entends qui disent : « Fallait pas vous laisser faire, résister… ». Quand ces choses-là sont demandées par 3 brutes en uniforme, avec mitraillette en sautoir, à 6000 km de ton ambassade, tu oublies tes réflexes soixante-huitards.

Quatre Français, deux Belges, Trois Espagnols, quatorze Hollandais, un Canadien, quatre Allemands…et pas un Mongol ! Il fait nuit maintenant. Dans un mauvais anglais, une petite dame en civil nous fait comprendre que si nous changeons nos dollars en roubles nous pourrons remonter dans le train dès ce soir.

Les 30 prisonniers échangent conjectures sur la façon de sortir de ce mauvais pas. Et nous voyons le train repartir… sans nous. Coup de blues et abattement. Nous savons qu’il y a un train le dimanche, même heure, puis plus rien jusqu’à samedi prochain. Si demain nous ne montons pas dans le train, il faudra passer 6 jours dans un village de 200 habitants, dont 100 militaires ou douaniers, au milieu de la taïga.

Il est maintenant 21 heures. Où manger ? Boire ? Et…uriner ! Toutes les femmes lèvent le ton et devant le charivari, le planton appelle ses collègues pour la deuxième mise en scène. Style goulag. Les policiers rassemblent « les volontaires », les encadrent pour sortir sur le quai, les font mettre en file indienne, les escortent (2 de chaque côté de la file) jusqu’aux 2 WC à la turque du bout du quai. Interdiction de rentrer toute seule dans la gare : même cérémonie au retour.

Niet téléphone

On est allé manger au village. On dormira là, par terre, dans la hall ! On déplie les duvets et on attend l’aube avec perplexité, angoisse, fureur, rage, fatalisme, espoir. Au matin, on nous explique que l’on partira au train du soir si nous changeons toutes nos devises étrangères contre des roubles (ce qui est totalement interdit !). Certains demandent à téléphoner : “niet téléphone !” D’autres, en début de voyage, ont des sommes colossales en dollars. Ils pensent ne pas tout changer. « Ils vont te fouiller ! », prétendent leurs voisins. « De toute façon, il n’y a pas de banque ici ».

Justement si. La petite guérite, à l’autre bout du quai, c’est une banque ! Bon an mal an, on s’y dirige tous sans qu’aucun ordre ou suggestion n’ait jamais été proféré, pour se faire dépouiller de notre monnaie en échange de roubles sans valeur en Mongolie et à un taux déplorable. Les Hollandais montrent, mi-figue mi-raisin, les paquets énormes (30cm de haut !) de roubles en petites coupures que représentent 1000 dollars.

A 18 heures, on nous annonce que notre billet de train était pour hier, pas pour aujourd’hui, il va falloir le racheter. Le guichet totalement fermé depuis hier soir vient subitement d’ouvrir. 19 heures, le train entre en gare. On rassemble nos affaires, et on s’apprête à sortir sur le quai. Holà, pas si vite ! En rang par deux : escorte habituelle. Aux fenêtres du train, tous les touristes nous regardent, éberlués, pensant qu’on va charger le train de détenus du goulag. On tente de leur crier en cinq ou six langues de déclarer zéro devise mais on nous fait taire en nous menaçant de retourner dans la gare. Ceux qui, un quart d’heure plus tard, descendent du train auront sans doute moins de chance que nous : pas de train le lendemain. Coincés là jusqu’à samedi prochain.

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