Mexique : le fil d’Ariane
– EXTRAIT –
Le dévidoir, moulin à prières entre mes doigts, tourne au rythme de mes battements de palmes. La fissure blanche et verticale rappelle davantage la crevasse d’un glacier que les habituelles lignes de fractures horizontales entre plans géologiques. Mes deux épaules touchent les parois. Je bascule mon corps sur le côté, continue ma progression, suis les pleins et les déliés de cette page d’histoire naturelle oubliée : la grotte est un ouvrage en braille, et mon corps entier le doigt qui la parcourt.
Le cône de lumière de Markus, derrière moi, a disparu depuis deux minutes. L’étroitesse de l’endroit se prête mal au partage de l’expérience. Je poursuis encore sur une vingtaine de mètres, puis amorce un demi-tour. J’entends un bruit de raclement dans mon dos, puis sens ma troisième bouteille, devant moi, se loger dans une anfractuosité rocheuse. Je suis coincé.
Surpris, je manque de lâcher ma lampe, puis mon dévidoir. Concentration. Respiration. Reprise de contrôle. Je réfléchis. J’ai le temps de résoudre le problème, n’est-ce pas ? Je regarde mon ordinateur. Cinquante-cinq mètres. D’après nos plans de déco et de consommation, j’ai sept minutes pour me sortir de là et rejoindre le fond de la fenêtre karstique, plus large. Dans tous les voyages, qu’ils soient au long cours, au bout de la nuit ou au centre de la terre, il arrive toujours un moment où l’on se demande ce qu’on fout là. J’y suis. Celui d’après, on se demande généralement comment on y est arrivé. J’y viens.
© Carnet de voyage de Julien Fortin à découvrir dans Numéro 30
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