Carnet de voyage - Sénégal

Sénégal : les sept colas blancs

Que faut-il faire des croyances qui croisent notre route en voyage ? Les fuir ? Ou bien se laisser aller dans leur sillage ? Dans un quartier de Dakar, la question s’est posée avec d’autant plus d’acuité pour Sophie Raynal qu’un vieux Sénégalais avait, en deux phrases, transpercé ses pensées.

Je marche dans une rue de Yoff Layène, un quartier au nord de Dakar, près de la mosquée verte et blanche qui fait face à l’océan. Autour de moi, les immeubles forment un labyrinthe de béton gris et nu où serpentent des ruelles de sable. Sur le sol, les ombres pointues des bâtiments se fondent avec le dessin emmêlé des câbles électriques.

J’ai posé mon sac sur cette étrange planète après six mois de voyage. Un rituel d’adaptation m’aide à appréhender le changement : je mime le pas des habitants. Chaque point sur Terre vibre à un rythme différent. À Yoff Layène, le sable enrobe mes pieds de son inertie. Je marche lentement, en trois temps, guidée par le ressac des vagues. Dans ces rues chaudes qui aspirent le temps, seuls les enfants courent.

Je vais à la boutique, une minuscule échoppe où l’on achète tout à l’unité. J’échange quelques francs sénégalais contre un œuf et une cigarette. Sur le chemin du retour, les ruelles sont vides. Quand le soleil est au zénith, tout ce qui est vivant reste à l’ombre. Je ralentis le pas, ferme les yeux, et mes pensées s’évadent en France.

Je me pose sur l’épaule de ma cousine. Elle lutte contre un cancer. Le temps s’est arrêté quand elle a reçu le résultat de ses analyses. Je colle mes pas au rythme de sa peur. Je visualise l’intérieur de son corps et écrase une tumeur de la main. Je trébuche, perds l’équilibre, et ouvre les yeux. Une présence à mes côtés me ramène dans la ruelle.

Quelqu’un joue à mon propre jeu : un vieil homme me talonne en suivant ma cadence. Sa silhouette mince flotte dans un habit bleu. Au milieu d’un visage tanné et fripé, ses yeux brillent comme des miroirs. Sa tête sombre, surmontée d’un bonnet blanc, semble à peine tenir sur son cou maigre. « Une pensée te préoccupe, dit-il en me souriant gentiment. Tu dois sacrifier sept colas blancs ». J’ignore ce qu’est une cola blanche et j’ai la sensation désagréable qu’un inconnu a violé mes pensées. Ma gorge se noue et j’accélère le pas sans poser de question.

© Carnet de voyage de Sophie Raynal à lire dans Bouts du monde n°28

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