Au rythme lent du pas de l’âne
– EXTRAIT –
De Saint-Etienne jusqu’au Puy, le petit train suit les méandres de la Loire et traverse des villages esseulés. Le paysage défile tandis que mes yeux parcourent un article de journal. Le sujet tombe à pic. La journaliste rapporte le cas d’une femme recluse depuis des années dans les Cévennes. À l’ombre des châtaigniers, elle se nourrit des vivres laissés par les habitants du coin dans le creux des arbres. Parfois, elle se faufile dans les habitations, ouvre les placards et pique des vêtements. Après la bête du Gévaudan, la belle des Cévennes ?
Nos sacs sur le dos, nous traînons dans les rues vides du Puy. Des ponots nous indiquent la direction du chemin de Saint-Jacques. C’est vers le Sud qu’il nous faut toutefois regarder aujourd’hui. La première balise blanche et rouge de la grande randonnée est située à côté de la gare. Adieu le bitume. Nos pieds peuvent enfin fouler la terre des sentiers. À Coubon, nous retrouvons la Loire, qui nous offrira sa fraîche compagnie pendant quelques jours. Nous trouvons malgré tout le moyen d’être à court d’eau, lorsque nous gagnons les hauteurs. Nous frappons à une porte. Une dame est là pour remplir nos gourdes. Elle est heureuse de revoir les marcheurs passer devant sa maison maintenant que le confinement est levé, en ce début de mois de mai.
Dans la forêt de l’Herm, je croise un renard. Une clairière nous offre son tapis d’herbe pour la nuit. Le camp monté, nous dînons frugalement des quelques mets tirés du sac. Nous dormons au son des gouttes de pluie qui s’écrasent sur la toile de tente. Anaïs a eu froid. L’épais duvet de l’armée ne résisterait pas aux nuits froides du Velay ? La pluie nous accompagne jusqu’à Monastier-sur-Gazeille. Posé au flanc d’un coteau, le village s’est développé autour d’un monastère bénédictin. Ce fut une importante bourgade qui, comme dans tout le Velay, produisait jusqu’au début du XXe siècle de très belles dentelles au fuseau.
Stevenson a de quoi se défendre (un revolver), de quoi se réchauffer (un réchaud, un bonnet de fourrure, une eau de vie) et de quoi oublier (une eau de vie bis, un litre de beaujolais)
Aux antipodes de la figure du marcheur ultraléger que nous tentons laborieusement d’approcher au fil de chaque randonnée, pesant chaque gramme de notre baluchon, Stevenson part chargé de toutes les reliques utiles à un touriste écossais de la fin du XIXe siècle. Il a de quoi se défendre (un revolver), de quoi se réchauffer (un réchaud, un bonnet de fourrure, une eau de vie) et de quoi oublier (une eau de vie bis, un litre de beaujolais). Pour transporter ce lourd paquetage, Stevenson se mit en quête « d’une bête de somme, d’une créature peu coûteuse, petite et téméraire, d’un tempérament pacifique et impassible. C’est ainsi qu’en échange de soixante-cinq francs et d’un verre de Brandy », Stevenson se dota d’une ânesse, qu’il baptisa sur le champ du nom de Modestine.
Une fois que l’animal fut chargé et que Stevenson en eut fini de tous ses soucis, l’équipage prit la route. 12 jours, 220 kilomètres plus tard, ils arrivèrent à Saint-Jean-du-Gard. De cette randonnée, Stevenson en consigna au jour le jour les péripéties. Son journal de route fut remanié puis publié en 1879 sous le titre de Voyage avec un âne dans les Cévennes. C’est cet ouvrage, accompagné d’une carte au 1/100 000, qui nous guida.
Chaque trimestre, recevez dans votre boîte aux lettres de nouveaux carnets de voyages, dans le dernier numéro de la revue Bouts du Monde