Aux sources de l'Amou-Daria - Carnet de voyage de Matthieu Tordeur et Cédric Gras
Carnet de voyage - Tadjikistan

Aux sources de l’Amou-Daria

Une mer asséchée et une mer de glace. Entre les deux, 2500 kilomètres et la folie d’une époque qui n’en finit plus de siphonner l’Amou-Daria, fleuve nourricier de trois oasis mythiques de la route de la Soie : Samarcande, Khiva et Boukhara. Le réalisateur Christophe Raylat, accompagné par l’aventurier Matthieu Tordeur et l’écrivain Cédric Gras, a remonté le cours d’eau, jusqu’à sa source au Tadjikistan : le Fedchenko, glacier monumental à plus de 4000 mètres d’altitude.

– EXTRAIT – 

La première vision du Fedchenko est celle d’une immensité qui parait presque incongrue au cœur des montagnes. Le glacier ressemble à ceux des zones polaires, platitude froide encadrée de lointains sommets. En arrivant par la vallée de Tanymas, on atteint sa rive au tiers supérieur, là où commence le bassin d’accumulation. Nous sommes à 4500 mètres et le géant prend naissance à trente kilomètres, sur les pentes du pic de la Révolution, à presque 7000 mètres d’altitude. Pendant deux jours, nous allons descendre environ un tiers de son cours, en slalomant entre des réseaux de crevasses qui plongent au cœur de la glace, épaisse ici de 1000 mètres. Rien de dangereux, les crevasses sont bien ouvertes et les quelques ponts de neige que nous franchissons, solides. Notre objectif désormais est de rejoindre un lieu improbable, sorti du passé, la station Gorbounov. Cette base d’observation climatologique et glaciologique a été construite en 1933 puis abandonnée du jour au lendemain au moment de la chute de l’URSS en 1991. Depuis, elle est restée en l’état et semble encore habitée par les âmes des scientifiques qui s’y sont relayés pendant presque soixante ans. Leurs données sont précieuses pour comprendre l’évolution du glacier. Paradoxalement, si le Fedchenko demeure difficile d’accès et rarement visité, il est attentivement étudié par différentes universités, notamment l’Institut des géosciences de l’environnement de Grenoble où la glaciologue Fanny Brun veille sur ses transformations. De retour en France, nous irons lui rendre visite pour qu’elle nous éclaire sur la fonte du Fedchenko et des autres glaciers du Pamir. Une évolution déterminante pour l’avenir de l’Amou-Daria et plus généralement pour l’accès à l’eau dans tout le sud de l’Asie centrale.

Entrer dans la base Gorbounov c’est faire un saut dans le temps. Nous voici au début des années 1990, au crépuscule de l’URSS. Tout est resté à sa place, les appareils de mesures, le générateur, les radios, les rapports, la bibliothèque, le projecteur de films, les ustensiles de cuisine et même les posters de Madona ou Mickael Jackson épinglés au mur

Le témoignage de Fanny est inquiétant. Pendant des décennies, la masse glaciaire a peu bougé alors qu’au même moment, les glaciers des Alpes fondaient (presque) à vue d’œil. Différentes raisons à ce phénomène, notamment l’altitude élevée et l’inertie due à la quantité de glace. Mais depuis quelques années, le phénomène de fonte s’est bel et bien enclenché et il va aller en s’accélérant. L’eau va, dans un premier temps, être plus abondante avant de commencer à se tarir, à priori dans la deuxième moitié du XXIe siècle. Au-delà du constat alarmant de l’augmentation des ponctions tout au long du fleuve, comme nous l’avons constaté dans la première partie du voyage, vient s’ajouter la perspective d’une réduction inéluctable du volume d’eau disponible à cause de la fonte des glaciers. Et il n’y aura pas de plan B : nous sommes au cœur de déserts, les précipitations sont faibles, voire inexistantes, lorsque les glaciers auront fondu, il n’y aura tout simplement plus d’eau disponible pour les cinquante millions d’habitants qui vivent dans cette partie du monde.

Entrer dans la base Gorbounov c’est faire un saut dans le temps. Nous voici au début des années 1990, au crépuscule de l’URSS. Tout est resté à sa place, les appareils de mesures, le générateur, les radios, les rapports, la bibliothèque, le projecteur de films, les ustensiles de cuisine et même les posters de Madona ou Mickael Jackson épinglés au mur. Nous sommes émus par la réaction de nos amis tadjiks. Ils jubilent d’avoir atteint ce lieu légendaire. Le glacier Fedchenko et la base Gorbounov sont des noms mythiques pour eux…  Ils prennent des photos, observent les vestiges, feuillettent les livres et s’immergent dans ce qui constitue, pour beaucoup d’anciens habitants de l’URSS, une forme de nostalgie. Celle d’un système plein de défauts, certes, mais capable de porter la science en des lieux incroyables, dans l’espace, sur les pôles, en haute altitude… Un régime qui en son temps a apporté l’éducation, la santé et une meilleure égalité entre femmes et hommes dans une Asie centrale qui vivait encore de façon archaïque. Ils sont fiers de ces hommes qui se relayaient chaque année, affrontaient la solitude, l’altitude et le froid, au seul profit de la science. Rahim le souligne avec un peu d’amertume : « Notre pays ne pourrait pas le faire aujourd’hui ».

Aux sources de l’Amou-Daria – Carnet de voyage de Matthieu Tordeur et Cédric Gras à découvrir dans Bouts du monde 56

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