Patrick Espel
Carnet de voyage - Chili

Douze ascensions

Le vent impitoyable qui fouette les abrupts de la cordillère des Andes et l’aridité du désert d’Atacama laissent peu de répit, pas plus qu’ils ne laissent indemnes le corps et l’esprit. Au gré de la douzaine d’ascensions qu’il a entreprises dans ces montagnes fantasmées, Patrick Espel a fini par encourager les plantes à vaincre ce monde minéral.

– EXTRAIT Carnet de voyage Chili –

Après des heures de vol, le visage écrasé contre le hublot, j’aperçois une kyrielle de sommets, une enfilade de pics tentateurs qui attirent la convoitise des amoureux de la montagne. Je remonte alors en silence le fil des raisons et des rêves qui m’ont entraîné ici. Ici, c’est la cordillère des Andes, la plus longue chaîne de montagnes de la planète avec des paysages d’une extrême variété et une variété de paysages extrêmes. Je rêve de grands espaces de solitude et de hauts sommets andins. Soudain, le pilote annonce l’atterrissage imminent à Copiapó, ville minière du désert d’Atacama entourée de plaines de sable et de dunes.

De là, je prends la route internationale 31 vers le col frontalier avec l’Argentine dit Paso de San Francisco(4 770 m). Cette contrée reculée de la cordillère des Andes possède, hors Himalaya, la plus forte concentration de 6000 mètres au monde. Imaginez un peu… sur quelques kilomètres, et en ne considérant que le territoire chilien, s’élancent vers le ciel le San Francisco (6018 m), l’Incahuasi (6 621 m), le Fraile (6 040 m), le Muerto (6 488 m), le Medusa (6 210 m), l’Ojos del Salado (6 898 m), le cerro Vicuña ou volcan Baker (6067 m), les Barrancas Blancas (6 117 m), le Peña Blanca (6 034 m), le Boris Kraizel Loy (6 019 m), l’Ermitaño (6 145 m), le Solo (6 190 m) et enfin, les pics Nord (6 030 m), Central (6 629 m) et Sud (6 748 m) des Tres Cruces. La grande majorité des andinistes qui viennent ici ont pour unique objectif de gravir l’Ojos del Salado (6 898 m), le plus haut volcan du monde, le deuxième sommet de la cordillère des Andes par son altitude.
Cerro San Francisco (6 018 m) : acclimatation
J’installe ma tente près du Paso de San Francisco (4 770 m), dans un lieu que je croyais à l’abri mais la colère du vent ne s’encombre pas de mes croyances et la tempête fait rage… Le lendemain, ma première immersion dans le royaume d’altitude, au-dessus de 5000 mètres, est plombée par la fatigue, les nausées et les maux de tête. Je monte dans le vent chilien sur les pentes de la montagne en essayant de respecter les règles de base de l’acclimatation. J’avance lentement, uniquement soucieux de gérer au mieux mon organisme. Ici, le temps ne s’écoule plus au rythme des heures, il se compte en temps d’adaptation à l’hypoxie d’altitude… Sur un vaste plateau à 5 800mètres, ancien fond de cratère, le sommet se dévoile pour la première fois. Sa vue ne me rassure pas. Je suis à bout de force. Tous les dix mètres, je m’arrête. Le temps est une succession de petites éternités douloureuses. J’essaye d’inspirer à fond pour vaincre mon ennemi et sa malignité insidieuse mais mes cellules ne s’en trouvent pas mieux oxygénées. 
5910 mètres. L’altimètre me redonne du baume au cœur. Je contourne par la gauche un vaste champ de pénitents de glace et j’atteins enfin le sommet. L’horizon est un océan de hautes montagnes mais malgré le spectacle, je ne m’attarde pas, conscient que mon corps réclame une meilleure oxygénation. Je perds rapidement en altitude et rentre au bivouac, heureux mais épuisé. Dans la tente, je m’effondre…
Carnet de voyage de Patrick Espel à découvrir dans Bouts du monde 50

à découvrir aussi

Bolivie : le souffle court

par François Remodeau

Carnet de voyage Bolovie. Le vent glacial fouette le visage de François Remodeau pendant qu’il lève la tête en direction du sommet des géants qui culminent à plus de 6 000 mètres. Un sac trop lourd, une marche hésitante, une pente trop raide. Les volcans Parinacota et Sajama ne souffrent aucune faiblesse. Pour rejoindre les…

Glace fragile sur la Chadar

Glace fragile sur la Chadar

EXTRAIT : Cela fait déjà près de dix années que, chaque été, je pars dans la vallée du Zanskar. Par la sonorité de son nom et par le seul fait de le prononcer, l’appel au voyage s’opère. D’année en année, des liens se créent et se renforcent même. Ne plus m’y rendre me paraît désormais…