PHOTO VOYAGE - MARINE ERNOULT & LAURENT RIGAUX - AMASKA - BOUTS DU MONDE
Carnet de voyage - États-Unis

L’Alaska en noir et bleu

Carnet de voyage Alaska. La beauté sauvage de l’Alaska a fait tourner la tête de Marine Ernoult et Laurent Rigaux. Mais la « dernière frontière », comme on la surnomme, ressemble à une fille de joie, condamnée par ses charmes. Ce qu’elle a à offrir, de l’eau et du pétrole, la ferait-elle courir à sa perte ?

– EXTRAIT –

Alaska, un mot aux consonances brutes, pures et impitoyables. Un mot qui enflamme nos instincts primaires, ce que Jack London appelait l’« appel de la nature ». Un si petit mot pour une région grande de plus d’un million et demi de kilomètres carrés. La « Terre » est une beauté vierge des origines qui recèle de grandes richesses. L’Alaska, territoire gorgé d’eau et de pétrole, n’évolue pas à l’écart du monde. Or bleu et or noir suscitent de vifs intérêts. À l’image d’autres régions de la planète, elle est actuellement confrontée à de nombreux enjeux environnementaux, à la fois globaux et locaux. Le dérèglement climatique est à l’œuvre, le recul des glaciers en est la plus évidente des preuves. Régulièrement, des conflits socio-politiques éclatent à propos de nouveaux projets, que ce soient des mines, des barrages, des forages ou des pipelines. Au début de l’hiver 2015, un mois sur les routes d’Alaska nous a conduits au cœur de ces étendues mettant en lumière les penchants les plus contradictoires de l’homme, entre volonté de protection et ambition prédatrice (…)

Après des heures de pistes chaotiques, nous voici arrivés à McCarthy, l’autarcie à l’état pur. Nous rencontrons John qui tient le seul B&B ouvert durant les mois d’hiver depuis près de quarante ans. D’emblée, McCarthy fleure bon le parfum aventureux du Far East : « A McCarthy, il n’y a ni autorité étatique, ni maire, ni impôts. Nous sommes un borough non organisé », nous assène fièrement John. Incrédules, nous l’assaillons : « Êtes-vous raccordé au réseau électrique ? Avez-vous l’eau courante ? D’où vient votre nourriture ? Comment est organisée la collecte des déchets ? Comment communiquez-vous avec le monde extérieur sans réseau de téléphonie mobile ? Quelles sont vos relations avec vos voisins ? Bonnes, forcément… ». Ce déluge l’amuse. Les réponses semblent évidentes, panneaux solaires, puits pour l’eau potable, jardin vivrier, chasse de subsistance, réseau local de téléphonie mobile. Surtout, une règle d’or prévaut implicitement : n’entretenir aucune relation avec son voisin. De toute façon, il est trop loin. À part, bien sûr, si un grizzly mal léché, en manque de saumons, décide d’éventrer les poubelles et de saccager les remises en quête des mets les plus raffinés. La communauté se met alors en branle et s’organise pour tuer le terrible voyou d’un rapide et discret coup de carabine. Seul bémol dans la bouche de John, la gestion des déchets reste problématique. Les poubelles s’entassent en attendant d’être transportées à plus de cent kilomètres.

La conversation tourne court. John est habitué au silence. Ici, huit mois sur douze, il vit seul avec sa femme. Ils travaillent dur et parlent peu. À McCarthy, les habitants, marqués par l’isolement, sont taiseux et renfrognés.

Le centre historique de McCarthy est coulé dans le marbre du XIXe siècle. Un XIXe sale, vulgaire et violent. La main street résonne encore des notes endiablées des pianos bastringues, du tintement des verres dans lesquels le whisky coulait à flot, du chaos verbeux des échauffourées injurieuses, du son étouffé des poings qui pleuvaient, des déflagrations des revolvers, des grognements satisfaits des pionniers venus tâter du cul de filles sans joie. À l’angle de la rue, on jurerait voir un chercheur d’or, colt au ceinturon, sortir du saloon et siffler sa monture, après un règlement de compte âprement disputé.

Carnet de voyage de Marine Ernoult et Laurent Rigaux à découvrir dans Numéro 34

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