Les yeux noir et blanc d'Isimba
Carnet de voyage - Ouganda

Les yeux noir et blanc d’Isimba

Caroline Riegel a supervisé la construction du barrage d’Isimba en Ouganda, financée par les Chinois. Dans les entrailles de l’ouvrage, l’ingénieure en hydraulique a photographié les regards des jeunes ouvriers et écouté les histoires de ces hommes de l’ombre.

EXTRAIT :

Isimba. En murmurant ce nom, entendez-vous les grandes plaines d’Afrique, ces terres rouges imbibées de soleil, ces horizons flamboyants, ces nuées d’animaux et de grands mammifères qui ont enchanté notre enfance ? C’est qu’Isimba se trouve sur le Nil Blanc, fleuve roi qui abreuve plaines, marécages, forêts et lacs, où survivent encore quelques girafes, lions, singes ou éléphants… Isimba n’est pas le roi d’une tribu farouche, un lion sauvage à la crinière rutilante. Isimba était le nom de chutes qui furent transformées en barrage hydroélectrique, au cœur de ce petit territoire qu’est l’Ouganda, si méconnu des Français.

Alors que je travaillais à la supervision de la construction de cet ouvrage en 2018, amis et collègues n’ont cessé de me croire dans un pays extrêmement dangereux, celui où avait régné l’affreux Amin Dada, dictateur sanguinaire et coqueluche des médias. Or ce pays que j’ai découvert n’a plus grand-chose d’une époque trouble, sombre et létale. Bien plus, il honore le titre que lui avait décerné Winston Churchill, colonisateur amoureux de cette « perle d’Afrique ». Modestes, les Ougandais font peu parler d’eux, ce qui incite à croire qu’on y vit paisiblement ; et je le confirme.

Oh, le peuple remplacerait volontiers son patriarche Museveni accroché au pouvoir depuis trente-quatre ans, et dont l’entêtement menace tout espoir démocratique. Mais les temps de la révolte ne sont pas encore là. Les Ougandais aspirent à la paix, ils en sont les meilleurs acteurs : affables, polis, curieux, attentionnés. Vous trébuchez ? « Oh sorry », se désolera-t-on en vous aidant. Vous éternuez ? « Oh sorry », répètera-t-on avec douceur.

Pour la réalisation d’un documentaire, j’ai eu la chance de sillonner tout le pays, en plus d’y travailler. Il ne s’agirait pas de brosser un tableau idyllique, mais le fait est que le très faible taux de criminalité est une des réalités de l’Ouganda qui tordent le cou à bien des stéréotypes auxquels nous restons accrochés. Et si la pauvreté est réelle, il ne faut pas la convertir hâtivement en misère, car une incroyable diversité de légumes, de fruits, de céréales pousse toute l’année sur une terre riche, possédée et exploitée par les paysans, plutôt que par de grands industriels. Ce qui n’est pas permis aux pauvres, c’est de croire qu’ils seront un jour fortunés.

L’Ouganda n’attire pas les foules. Tant mieux pourrait-on penser en voyageur égoïste, peu enclin à observer un lion en rangs serrés ! C’est qu’il est assez onéreux de s’évader en Afrique de l’Est, et la petite perle de la région ne s’est pas appliquée au tam-tam médiatique de son grand voisin, le Kenya. Elle a certes moins de grands espaces vierges et époustouflants à offrir, elle n’en possède pas moins de nombreux parcs, forêts, montagnes et espaces de savane, où la nature reste souveraine. Elle a surtout des gorilles.

Carnet de voyage de Caroline Riegel à découvrir dans la revue Numéro 44

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