carnet de voyage : mission TA66, Julien Vasseur, Terre Adélie , Antarctique
Carnet de voyage - Terres australes françaises

Mission en Terre-Adélie

Carnet de voyage. Julien Vasseur a passé quinze mois en Antarctique, en tant que volontaire du service civique. Ornithologue et écologue de formation, il a constaté au plus près, au cours de la 66e mission du CNRS en Terre-Adélie, les impacts du réchauffement climatique sur la survie des colonies de manchots empereurs.

– EXTRAIT – 

C’est à bord de L’Astrolabe, véritable passeur entre deux mondes, que cette histoire commence. Le voyage, pour atteindre le continent blanc, n’est pas de tout repos. Deux jours après avoir quitté la terre ferme depuis la Tasmanie, de nouveaux compagnons de voyage nous rejoignent. Ce sont des albatros, suivant le bateau, se jouant des vagues en les caressant du bout des ailes comme pour nous prouver que ce sont eux les maîtres des océans. Mais cette compagnie ne dure qu’un temps. Un dicton de marins dit : « Sous quarante degrés de latitude, il n’y a plus de loi, mais sous cinquante degrés il n’y a plus de Dieu ». Cette phrase a pris tout son sens durant les douze jours de traversée qui ont été rythmés par les tempêtes. Le roulis du bateau atteint régulièrement plus de trente cinq degrés d’inclinaison, les vagues fracassent les hublots de la passerelle, le moindre objet non fixé vole de pièce en pièce : bam ! boom ! clack !

Aucun signe de vie à bord durant la tempête, tout le monde reste couché dans sa couchette, essayant de faire le moins de gestes possible pour ne pas tomber ou être malade. Sur la passerelle, le calme règne, les membres d’équipage sont concentrés sur la route que le bateau trace à travers une mer déchaînée. En arrivant au large de l’île Macquarie, il nous faut s’arrêter, profiter de cette île pour mettre le bateau à l’abri de la tempête pendant une nuit. La mer continue de se déchaîner, obligeant l’équipage à barricader les hublots au risque que les vagues ne les brisent. La nuit passée, nous reprenons notre route vers le pôle, la mer se calme, acceptant notre venue.

Quatre jours plus tard, une surprise nous attend sur le pont du bateau : les premiers glaçons sont en vue. D’abord de petits morceaux de glace qui deviennent de plus en plus gros. En milieu de journée nous atteignons le pack-ice : une zone de transition entre la mer libre et la banquise épaisse, composée de plaques de glace à travers lesquelles le bateau doit se frayer un chemin. Après trois jours à slalomer entre les icebergs et les plaques de glace trop épaisses, l’Astrolabe se pose sur une banquise dure, véritable mur de glace. Il n’ira pas plus loin. Nous sommes à dixhuit kilomètres de la base Dumont-d’Urville, notre futur foyer. Le lendemain commencera le débarquement du personnel et des vivres par hélicoptère. Je serai le dernier à quitter le navire, accompagné d’une autre scientifique.

(…) Nous sommes maintenant en mars, c’est l’heure de la solitude, nous ne sommes plus que vingt-quatre personnes, vingt-quatre membres d’une même famille : la TA66 (66e mission en Terre Adélie). Nous allons rester seuls pendant neuf mois à présent, sans aucun contact physique avec le monde extérieur. Les sentiments que nous avions tous en regardant le dernier bateau partir étaient mêlés entre excitation de l’inconnu et la crainte de la métamorphose que pourrait procurer cette expérience sur nous. C’est sur un air de cornemuse joué par notre menuisier que nous regardons le bateau s’éloigner au large.

Mais la vie continue. L’ensemble de l’archipel s’est vidé de tous ses habitants, mais une dernière espèce arrive pour passer l’hiver austral sur l’archipel : le manchot empereur. La durée du jour diminue quotidiennement d’une demi-heure. Les manchots finissent de se rassembler en colonie pour commencer leur parade. Les températures avoisinent les -35 °C. Une fois l’œuf pondu, celui-ci est transmis par la femelle au mâle avec une délicatesse extrême puis c’est l’heure pour la femelle de repartir en mer se nourrir. Les mâles restent ainsi seuls, se serrant pour survivre ensemble et résister pendant quatre mois  aux morsures du froid afin de couver leur unique œuf. Survivre est leur maître mot, survivre pour donner la vie.

Durant cette période d’hiver, nous ne sommes plus que deux biologistes sur base à aller observer quotidiennement la colonie d’empereurs. Le spectacle reste tous les jours aussi prenant, nous observons passivement ces créatures se blottissant les unes contre les autres pour éviter toute perte de chaleur. Leur démarche est lente, leur œuf posé sur leur patte les handicape dans leurs mouvements mais il faut résister et surtout ne pas le faire tomber. Quelques secondes d’inattention et ils pourraient faire tomber ce précieux embryon de vie qu’ils portent. Le vent souffle, transportant avec lui des cristaux de glace fracassant le plumage des oiseaux formant ainsi une carapace sur leur dos. Il est déjà trop tard pour certains individus mal expérimentés, le vent et le froid ont emporté leur précieux œuf le transformant en pierre de glace. Pour eux il n’y a plus rien à perdre sinon leur propre vie. Il est impossible pour ces malchanceux de regagner la mer, elle est trop loin, à plus de deux cents kilomètres, et le climat les oblige à rester avec les autres le temps que l’été revienne, sans manger, sans progéniture sans rien hormis leurs congénères.

Après quatre à cinq heures sur la manchotière, le froid nous rappelle à l’ordre, il faut se mettre à couvert du vent, se réchauffer et manger un morceau. Lorsque les conditions sont trop dures, nous pouvons nous mettre dans un petit abri qu’il nous faut déneiger chaque jour pour prendre une boisson chaude ou réchauffer une petite ration. Nous sommes totalement dépendants de la base, notre équipement finit par geler, les chaufferettes ne font plus effet, rester dans cet abri ne serait-ce qu’une nuit durant l’hiver sans source de chaleur et équipement approprié serait fatal. Il faut quitter la manchotière le temps de refaire le plein d’énergie. Les manchots eux n’ont pas cette option ; ils doivent rester là, une interminable attente.

Après le travail sur le terrain, le retour sur base est à chaque fois un retour à la réalité. Nous retrouvons nos camarades devenus des amis qui, quand ils ne nous accompagnent pas sur le terrain, s’affairent au bon fonctionnement de notre base qui n’est pas toujours une mince affaire. Le menuisier et le maçon travaillent sur le confort et l’aspect pratique des bâtiments. Il y a un plombier-soudeur, un électricien, un mécanicien engin, un mécanicien de précision, un cuisinier, un pâtissier, un médecin, un télécom, un chef et second de la centrale de production d’électricité, des informaticiens, un chef technique et un chef de base… Sans eux, il serait impossible d’effectuer notre travail et de vivre aussi longtemps sur cette base. Nous ne sommes pas les seuls scientifiques pendant cet hivernage. Il y a une personne en charge des suivis sismographiques, une glaciologue en charge notamment d’effectuer des prélèvements dans des carottes de glace, des météorologistes qui nous prédisent les tempêtes à venir quand cela est possible et une personne en charge de l’observation atmosphérique grâce au lidar (light detection and ranging) qui est une sorte de radar pour particules polluantes atmosphériques. Le travail de chacun et les retrouvailles pour des anniversaires, fêtes diverses, soirées jeux de cartes ou billard rythment la vie sociale sur la base. Nous possédons une connexion internet par satellite suffisamment puissante pour nous permettre de recevoir des nouvelles de nos familles en métropole. À  la moitié de notre hivernage, c’est l’occasion de faire une fête qui est célébrée sur l’ensemble des bases en Antarctique et Subantarctique de tous les pays confondus : la mid-winter. C’est l’occasion de se réunir autour d’un bon repas et d’échanger avec les autres bases étrangères par mail ou visioconférence, quand cela est possible, pour se souhaiter nos vœux entre hivernants. (…)

Carnet de voyage de Julien Vasseur à découvrir dans Numéro 34

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