Cédric Gras - Vernadsky
Carnet de voyage - Antarctique

Réchauffement diplomatique

À la pénombre de la guerre en Ukraine, Cédric Gras se souvient de ces scientifiques ukrainiens qu’il a rencontrés en 2016 sur la base de Vernadsky en Antarctique. L’écrivain-voyageur avait embarqué à bord d’un brise-glace russe, en direction du continent blanc où c’est la science qui dicte la géopolitique.

– EXTRAIT – 

En ce début d’hivernage, les polaires ukrainiens ont vu, impuissants, leur pays envahi par Moscou, depuis leurs écrans. Leur base Vernadsky, du nom d’un chimiste russo-ukrainien, est isolée quelque part sur la péninsule antarctique, à l’autre bout du globe. La Russie ayant assumé l’héritage du dispositif soviétique, Kiev a repris là-bas une ancienne station anglaise pour un dollar symbolique en 1996. Le drapeau jaune et bleu qui flotte partout désormais en Europe bat aussi au blizzard austral. La douzaine de scientifiques qui entre aujourd’hui dans la nuit polaire découvre ce terrible sentiment d’impuissance de l’insulaire lointain. Cette impression d’être relégué dans un autre univers.

J’étais monté sur ce navire depuis les docks du Cap, dans la chaleur de l’été sud-africain. Je n’avais présenté aucun visa. En Antarctique, ni consulats, ni ambassades. Là où nous allions, la terre n’appartient à aucun État.

Des Ukrainiens, j’en ai connu en Antarctique, sur un brise-glace russe… C’était en 2016 pourtant, après la révolution de Maïdan, l’annexion de la Crimée et les sécessions au Donbass. Mais ce n’était pas encore cette guerre désastreuse. Quelques russophones de l’Est, vers Kharkov je crois, s’occupaient de l’avion Antonov qui voyageait en pièces détachées dans les cales. J’étais monté sur ce navire depuis les docks du Cap, dans la chaleur de l’été sud-africain. Je n’avais présenté aucun visa. En Antarctique, ni consulats, ni ambassades. Là où nous allions, la terre n’appartient à aucun État.

Les choses sérieuses avaient commencé avec la disparition du cap de Bonne-Espérance à l’horizon. Le brise-glace n’était pas conçu pour la haute-mer. Les Quarantièmes rugissantsavaient fait rouler la coque des nuits entières. Les cabines s’inclinaient vertigineusement. La vaisselle se brisait ; les chaises balayaient le carré. Au-dessus du sillage marbré, d’immenses albatros planaient sans un coup d’aile. À bord, cent cinquante hommes s’entassaient dans les cabines : l’équipage, qui manœuvrait la coque d’acier de 141 mètres de long, et les polaires qui s’apprêtaient à étudier une année durant le continent austral.

Carnet de voyage de Cédric Gras à découvrir dans Bouts du monde 51

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