Photo du Canal de Suez tiré du carnet de voyage Sur la passerelle
Carnet de voyage - Égypte

Sur la passerelle

L’aventure se devine dès que le regard de Luc-Christophe Guillerm porte au loin. Depuis le pont du Tonnerre, bâtiment de la Marine nationale, se dessinent la silhouette de Beyrouth, le profil du canal de Suez ou bien l’ombre du mont Sinaï. Mais il faut rester à bord.

– EXTRAIT –

C’est à 1 heure du matin que le premier pilote égyptien embarque à bord, suivi quelques instants après par les lamaneurs égyptiens. L’obscurité est déflorée par une pleine lune somptueuse et par les illuminations jaunâtres des cargos qui entourent le Tonnerre. À l’horizon, droit devant, les lumières de Port-Saïd, ville d’entrée du canal, dessinent un halo fluorescent nébuleux. « Cap au 160 », annonce le commandant, rompant le silence presque religieux de la passerelle. Le Tonnerre commence son transit vers le canal, guidé par un balisage rouge et vert, et laisse derrière lui quelques dizaines de cargos à l’arrêt.

Les balises lumineuses de ce chemin vers l’entrée du canal semblent caresser le bâtiment par leur proximité et le BPC s’engouffre presque à l’aveugle dans le passage. Dans l’obscurité, la passerelle est en état d’alerte et le commandant est à la manœuvre, communiquant en anglais avec le pilote. Le silence règne et les seules paroles sont des ordres de navigation. Devant nous, 190 kilomètres de canal à travers l’Egypte et une durée de traversée évaluée à une douzaine d’heures. Deux convois quotidiens sont organisés vers le sud, mais un seul vers le nord, et les navires se croisent surtout au niveau du lac Amer. Quatre pilotes se succèderont tout au long du canal.

De la passerelle, notre imaginaire oriental nous laisse songeur, un peu frustrés aussi de ne pouvoir accoster et partir à l’aventure. L’Égypte dévoile quelques oasis ombragées et verdoyantes au sein d’immenses étendues désertiques, et de temps à autre, le pic d’une mosquée qui émerge au milieu de palmiers.

Au petit matin, vers 5 heures, le Tonnerre a déjà franchi le célèbre pont de El Quantara, construit en 1999, pont qui laisse un tirant d’air de 70 mètres. L’environnement est désertique, éclairé par un coucher de lune qui laisse songeur et méditatif. L’on imagine au loin Alexandrie, Le Caire ou encore les pyramides. Les berges du canal paraissent proches dans cette zone où le canal est à sens unique ; la largeur minimale est de 280 mètres et la profondeur du canal oblige certains supertankers à vider leur cargaison de pétrole à Port-Saïd pour la récupérer à la sortie du canal, à Suez, le pétrole transitant par oléoduc.

Au contraire de Panama, le canal de Suez ne possède aucune écluse, simplement deux zones plus vastes dont le très large lac Amer où le BPC devra attendre comme les autres bateaux. Environ vingt mille bateaux transitent chaque année dans cette zone. Les rives sont protégées par la présence de forces militaires et la vie autochtone se limite à quelques embarcations de pêcheurs qui longent les berges du canal.

De la passerelle, notre imaginaire oriental nous laisse songeur, un peu frustrés aussi de ne pouvoir accoster et partir à l’aventure. L’Égypte dévoile quelques oasis ombragées et verdoyantes au sein d’immenses étendues désertiques, et de temps à autre, le pic d’une mosquée qui émerge au milieu de palmiers. Quand Suez apparaît en début d’après-midi du 28 mars, c’est aussi la mer Rouge qui ouvre ses portes vers un tout autre univers maritime, celui de l’océan Indien, du détroit d’Ormuz au large du Pakistan et de l’Afghanistan, de la mission Atalante contre la piraterie au large de la Somalie. Nous franchissons le détroit de Tiran le 29 mars et le Tonnerre découvre la mer d’Aqaba, bordée à l’ouest par le Sinaï (Égypte) et à l’est par la péninsule arabique (Arabie Saoudite).

De chaque côté, nous apercevons une nature hostile, désertique et montagneuse ; les terres et roches sont ocre, presque rouges, et s’opposent harmonieusement avec le bleu vif qui entoure notre bâtiment. Le Sinaï est hérissé de pics montagneux, sans doute contreforts du mont Sainte-Catherine qui culmine à plus de 2 600 mètres ou du mont Sinaï, son voisin, haut lieu de la tradition biblique où Moïse aurait reçu les Dix commandements.

Le marin aime la mer et ses espaces vides et infinis, mais il aime aussi l’escale, ce bout de terre qui s’ouvre à l’horizon et laisse augurer du dépaysement. Les marins ne l’oublient pas, ils ont aussi choisi ce métier pour voyager, accoster dans les ports les plus mythiques de la planète, franchir détroits et caps, souvent après de longues journées ou semaines de mer. Le port d’Aqaba en Jordanie apparaît au petit matin du 30 mars. Nous apercevons aussi le port israélien d’Eilat, dans le fond du golfe d’Aqaba, et la zone a la particularité exceptionnelle d’être un point de vue sur quatre pays : la Jordanie, Israël, l’Égypte et l’Arabie Saoudite.

Carnet de voyage de Luc-Christophe Guillerm à découvrir dans Bouts du monde 52

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