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Les belles embrouilles et petites mésaventures de Bouts du monde

1. Le naufragé de l’île de Biak – Indonesie

Laurent Van Parys a attendu plus de dix ans avant de pouvoir raconter l’histoire de « ses » naufrages un jour de 1995, où l’effroi le dispute à la culpabilité. L’auteur raconte les moyens mis en oeuvre pour tenter de secourir ses compagnons au large de l’île de Biak, en Indonésie.

« Il est parfois des récits qui agonisent d’eux-mêmes, des récits que l’on veut raconter en faisant sentir que l’on a été héroïque. Mais à peine les premières notes de cette fausse partition sortent-elles, qu’on les ravale, échappant ainsi à un autre naufrage, plus profond encore, le sien peut-être… Ne pas mentir, raconter ce que l’on a vécu et ressenti, dire que l’on a eu peur, dire que l’on comprend Lord Jim de Conrad. Un homme en situation de mort entend d’étranges musiques et nul ne peut dire celle qu’il fera sienne. La mienne prend corps sur l’océan Pacifique le 20 août 1995 en fin d’après-midi. De lourds nuages ​​cotonneux barrent l’horizon Au loin, non visible, l’île de Biak, avec sa grande base navale indonésienne. Cette île se situe au grand de lIrian-Jaya, nom donné à la partie occidentale de la Papouasie Nouvelle-Guinée.

Je plonge sous l’œil des naufragés en leur jurant que je vais revenir les chercher quoi qu’il arrive. Mon départ se veut héroïque mais je suis terrifié. Finalement, qui a pris la décision ? L’eau me fait frissonner. Je nage droit devant, prenant soin de calculer un axe par rapport au soleil et à la position du cocotier que j’aperçois par intermittence, lorsque je me retrouve sur le dos de la vague. Je pense plus que je ne nage. Après environ un quart d’heure, j’ai un point de côté et ma nage désordonnée m’affaiblit plus qu’elle ne me fait avancer. J’ai peur.»

Carnet de voyage de Laurent Van Parys à découvrir dans Numéro 4

2. Miracle dans le Pamir – Tadjikistan

Miracle dans le Pamir Bouts du monde12

Cela s’appelle se retrouver dans un sacré pétrin. Guillaume Bertocchi avait déjà navigué en haute altitude. Mais cette fois, il n’a pas été très prudent de partir seul en trek dans les vallées du Pamir. Un conseil : les randonneurs angoissés ne devraient pas lire cette mésaventure avant de partir en montagne.

« Je me réveille, après quelques heures de mauvais sommeil. J’ai mal à la tête, c’est indéniable. Une alarme se déclenche en moi: je pense pour la première fois au mal des montagnes, et à un œdème pulmonaire. Pour vérifier cela, par réflexe j’expire et vide mes poumons. Le verdict est sans appel : j’entends ce gargouillis si caractéristique, signifiant que mes poumons sont en train de se remplir d’eau. Je regarde ma montre, il est 22h30. Tout va très vite dans ma tête, j’évalue ma situation, clairement mauvaise : je suis seul, la nuit vient de commencer, je suis à 45 km de mon point de départ, et n’ai rencontré aucun village depuis, seule une famille dans une yourte non loin d’Allichur, ainsi qu’une yourte vide dans le delta à l’extrémité est du lac. Ce début d’œdème pulmonaire signifie qu’il me reste environ 24 heures avant que les choses ne s’aggravent irrémédiablement. »

Carnet de voyage de Guillaume Bertocchi à découvrir dans Numéro 12

3. Apologie de la panne mécanique 

Dans L’Usage du monde, les habitants des Balkans se penchaient volontiers sur le moteur de la Fiat Topolino de Nicolas Bouvier, qui avait parfois des coups de moins bien. Il faut croire que les traditions perdurent. Olivier Le Gall a appris à aimer les pannes mécaniques. Mais pas le simple pneu crevé. Plutôt les grosses galères, dans les endroits bien perdus…

« Vous hésitez encore à voyager en camion ? Vous n’arrivez pas à vous décider, ou à décider votre conjoint(e) des innombrables avantages à partir sur les routes avec un véhicule de plusieurs tonnes ? J’ai testé pour vous l’argument choc : la merveilleuse possibilité de tomber en panne ! Véritable catastrophe pour le touriste pressé, la casse mécanique est sans doute une des plus belles opportunités qui s’offrent au voyageur lorsqu’il décide de partir à la découverte du vaste monde derrière un volant. Mais attention, pour cela il faut y mettre du sien : la réussite de la panne dépend en partie du lieu où elle se produit, mais surtout de son ampleur. Oubliez la petite panne mesquine qui vous immobilise deux ou trois jours, elle ne vous laissera comme souvenir que celui d’une vilaine épine dans le pied (ou dans le pneu, c’est selon). Non, quand vous cassez, voyez grand ! Cassez avec largesse, avec munifi­cence, cassez magnanime ! »

Carnet de voyage d’Olivier Le Gall à découvrir dans Numéro 18

4. Le fil d’Ariane – Mexique

Matériel, paliers de décompression, composition des gaz, entraînement physique et mental… Julien Fortin ne laisse rien au hasard quand il plonge. Coincé entre deux rochers à plus de cinquante mètres de profondeur, dans la grotte de Zapote au Yucatan, il se sent plus vivant que jamais.

« Le dévidoir, moulin à prières entre mes doigts, tourne au rythme de mes battements de palmes. La fissure blanche et verticale rappelle davantage la crevasse d’un glacier que les habituelles lignes de fractures horizontales entre plans géologiques. Mes deux épaules touchent les parois. Je bascule mon corps sur le côté, continue ma progression, suis les pleins et les déliés de cette page d’histoire naturelle oubliée : la grotte est un ouvrage en braille, et mon corps entier le doigt qui la parcourt. Le cône de lumière de Markus, derrière moi, a disparu depuis deux minutes. L’étroitesse de l’endroit se prête mal au partage de l’expérience. Je poursuis encore sur une vingtaine de mètres, puis amorce un demi-tour. J’entends un bruit de raclement dans mon dos, puis sens ma troisième bouteille, devant moi, se loger dans une anfractuosité rocheuse. Je suis coincé. Surpris, je manque de lâcher ma lampe, puis mon dévidoir. Concentration. Respiration. Reprise de contrôle. Je réfléchis. J’ai le temps de résoudre le problème, n’est-ce pas ? Je regarde mon ordinateur. Cinquante-cinq mètres. D’après nos plans de déco et de consommation, j’ai sept minutes pour me sortir de là et rejoindre le fond de la fenêtre karstique, plus large. Dans tous les voyages, qu’ils soient au long cours, au bout de la nuit ou au centre de la terre, il arrive toujours un moment où l’on se demande ce qu’on fout là. J’y suis. Celui d’après, on se demande généralement comment on y est arrivé. »

Carnet de voyage de Julien Fortin à découvrir dans Numéro 30

5. Passeport et mafia russe – Ouzbékistan

Carnettiste : Vincent Robin - Russie - bouts du monde

La nuit d’avant le départ, Vincent Robin-Gazsity et son ami n’ont pas très bien dormi. L’inquiétant Ivanov, tout droit sorti d’un film sur la mafia russe, les attendra-t-il à l’aéroport de Tachkent pour réclamer sa dette ? Pourront-ils enfin quitter le pays ? Ou bien l’administration ouzbèke va-t-elle encore leur jouer un tour dont elle a le secret ?

« Nous avons récupéré notre passeport avec un visa de transit, comme demandé, mais nous sommes clandestins en Ouzbékistan depuis hier et cela donc jusqu’au 2 novembre.

Nous traversons Tachkent le ventre serré. Le métro nous est désormais interdit. C’est l’endroit de prédilection pour les contrôles. La rue est un peu plus sûre, mais l’ennui qui pèse sur les policiers plantés sur les trottoirs aussi régulièrement que les poteaux électriques, pourrait très bien les pousser à réclamer nos passeports, juste pour se divertir, ce qui nous conduirait directement en prison d’après Ivan du centre culturel français. La vie est dure pour les clandestins en Ouzbékistan.

Ivanov est convoqué par le chef des services de l’OVIR, mais personne ne nous invite à entrer. Nous devons attendre sagement à l’extérieur qu’un mafieux russe et une administration corrompue décident à quelle sauce nous devons être mangés. J’estime que la situation m’autorise à utiliser le numéro d’urgence de l’ambassade que nous a donné Ivan. J’appelle.

 « Service de l’ambassade de France bonjour

 – Bonjour je vous appelle, parce que j’ai un petit problème de visa et qu’on me demande de passer six mois en prison…

 – C’est embêtant…

 – Oui, un peu… »

Carnet de voyage de Vincent Robin-Gazsity à découvrir dans Numéro 26