Illustration du Baratin à Charleville-Mézières
Carnet de voyage - France

Du baratin à Charleville-Mézières

Au gré d’un tour de France en stop, Olivier Courtois a choisi une ville où s’arrêter : ce sera Charleville-Mézières. Parce que c’est là qu’est enterré le poète vagabond Arthur Rimbaud. Ensuite, il a choisi le bar où il se fera des amis : ce sera le Baratin. Parce que c’est là qu’il y a J.C., Teresa et tous les autres.

-EXTRAIT-

J’arrive à Charleville comme j’y suis venu deux ans plus tôt. Par la même route avec les mêmes chaussures. Ces deux dernières années pèsent lourd au fond de mon sac. Elles m’ont mené en reportage jusqu’à la frontière indo-birmane. Pour les raconter j’ai choisi d’écrire et pour écrire j’ai choisi Charleville-Mézières.

Un escalier en bois qui grince à chaque marche s’arrête au seuil d’une porte qui sera bientôt familière. Le meublé que je loue sous ces toits est aussi dépouillé que son locataire. Je vide mon sac de tous les souvenirs que je m’apprête à rédiger. Dans l’armoire où pendent deux cintres, je n’accroche aucun vêtement et je ressors aussitôt.

Dans chaque ville, un lieu nous ressemble. Certains cherchent un square, une place, un banc public, l’ombre d’une terrasse ou l’abri d’une église. Moi je cherche un troquet. Je l’ai cherché plusieurs nuits. D’abord dans ma rue, puis dans ses voisines, perpendiculaires et parallèles, avant d’élargir peu à peu le périmètre de ma quête. J’ai essayé les comptoirs des bars agglutinés sous les arcades de la place Ducale, les bières étaient bonnes, la décoration soignée, l’ambiance légère, le patron affable et pourtant je n’étais pas chez moi.

C’est par une nuit hivernale où je n’espère rien d’autre que la tranquillité d’une balade solitaire le long des berges de la Meuse que j’aperçois la silhouette d’une femme fumant son clope sur le quai Rimbaud. Je m’approche. La fumée de sa cigarette s’élève vers une enseigne où s’inscrivent trois lettres. « PBA ».

« Bonsoir…

– Bonsoir

– C’est quoi ?

– Un bar.

– PBA… drôle de nom pour un bistro…

– Ça change de PMU…

– Ça veut dire quoi ?

– « Petite Brasserie Ardennaise. »

– Ils fabriquent leur bière ?

– C’est une vieille enseigne, maintenant ça s’appelle « le Baratin ».

– Ils ont de bonnes bières ?

– Difficile d’affirmer le contraire…

– Pourquoi ?

– Je suis la patronne. »

Dans chaque ville, un lieu nous ressemble. Certains cherchent un square, une place, un banc public, l’ombre d’une terrasse ou l’abri d’une église. Moi je cherche un troquet.

J’entre. Je découvre un comptoir en formica, un mur nu en pierres apparentes, d’autres murs couverts de photos, d’affiches et de tableaux, des poutres en bois portant le plafond, des fanions qui pendent devant des rangées de verres posés sur des étagères, une salle étroite avec trois tables et des banquettes. Quelques rares clients discutent derrière le zinc où Teresa me propose une Sedane triple. On se vouvoie à l’extérieur. A l’intérieur on se tutoie. J’ai trouvé le lieu que je cherchais depuis mon arrivée.

« C’est toujours aussi calme ?

– C’est un soir de semaine ordinaire à Charleville-Mézières mais ça reste plus animé qu’à Sedan où je travaillais avant de reprendre ce bar avec ma sœur. Là-bas tu ne trouveras aucun bar encore ouvert à cette heure sauf les soirs de matchs.

– Il n’est pourtant pas si tard.       

– Ça dépend pour qui, mais reviens la semaine prochaine, tu ne reconnaîtras pas l’endroit.

– Pourquoi ?

– C’est les vacances de Noël.

– Les gens sortent davantage ?

– Les étudiants sont de retour.

– Où sont-ils le reste du temps ?

– Là où il y a des universités et ici il n’y en a pas. Quand on fait des études supérieures on est obligés de quitter Charleville et après on n’y revient que le temps des vacances pour voir sa famille parce que le boulot comme les diplômes, ce n’est pas vraiment ici qu’on les trouve.

La moyenne d’âge de la clientèle n’est plus vraiment universitaire. L’atmosphère feutrée a passé la quarantaine rugissante. À l’écart, un personnage singulier a largement dépassé cette limite. Collé au comptoir, il commande un jus de fruits puis repart s’asseoir devant une table où sur de grandes feuilles blanches il trace des arabesques avec des plumes qu’il trempe dans des fioles d’encres multicolores. Il tourne le dos à la salle dont il voit le reflet dans un miroir où son regard croise le mien avant qu’il ne sorte.

« À demain Teresa.

– À demain J.C. »

Carnet de voyage à Charleville-Mézières – Olivier Courtois et Phicil – À découvrir dans Bouts du monde 58

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