
Lettres des steppes mongoles
– EXTRAIT –
Le 11 octobre 2004. J’ai regardé les informations à la BBC ce matin, et je pense que le monde pourra se passer de moi. Les choses ont l’air d’être en bonne voie un peu partout dans le monde. Et puis j’ai pris une dernière douche. Je suis heureux de partir, j’ai peut-être oublié quelque chose d’indispensable pour une telle situation, mais je compte sur les autres. Sûrement que bien au-delà de la rude nature, la richesse et la difficulté des situations viendront de ces autres. On verra bien, je n’ai plus l’esprit à imaginer. Je vis le présent et il ne faut pas que je rate mon bus ! Voilà déjà quatre heures que je l’attends. Il y a bien plusieurs bus à la station, mais ils ne partiront que pleins à ras bord. Et comme les clients jouent de leurs positions, et de celle d’autres amis à aller chercher, pour avoir une place pas chère et un départ rapide, les équipages se font et se défont sans que je n’y comprenne rien. Malgré cela, je finis par embarquer dans un de ces minivans quatre-quatre, à neuf places. Je monte mes cadeaux pour la famille : vingt-cinq kilos de riz, autant de farine, des pommes et des oranges, deux kilos de sucre, puis mon sac et enfin moi. Je ne suis pas tout seul et pas le plus chargé ; nous sommes une quinzaine sans compter les enfants.
Fin octobre 2004. Je suis arrivé ! Cela contraste avec le nombre de fois où j’ai pu écrire : « Je suis enfin parti » ou « c’est parti ». J’ai le sentiment d’être arrivé là où les choses vont se faire, enfin, après tant de préparation, tant d’acharnement. Le matin, il fait sûrement très froid dans la yourte. Pendant la nuit, je dois rajouter au sac de couchage ma del de fourrure. Un détail parfois surprend : quand je me lave les dents, les gouttes d’eau et de dentifrice gèlent sur ma del avant que je n’aie eu le temps de les essuyer. Mon nez est peuplé de stalactites jusque vers midi ; et alors, c’est le vent qui se lève, il faut mettre les gants. Je suis surpris de voir que je n’ai pas trop froid aux mains, que je peux aller aux toilettes en prenant mon temps, les fesses à l’air, au-dessus de la fosse creusée à quelques mètres du campement. Remarque qu’il ne fait, pour l’instant, que moins dix degrés, d’après Toumé.
Je suis arrivé ! Cela contraste avec le nombre de fois où j’ai pu écrire : « Je suis enfin parti » ou « c’est parti ». J’ai le sentiment d’être arrivé là où les choses vont se faire, enfin, après tant de préparation, tant d’acharnement.
Il semble que ma del soit de bonne qualité : je ne porte dessous qu’un maillot et une chemise. Je n’ai pas encore étrenné mes bottes de feutre ; je les garde pour plus tard, quand ce sera vraiment nécessaire. Je découvre aussi la famille. Ils sont très attentifs à moi. Il y a la mère, Batsaikhan, sa sœur cadette, Jaga, sa fille, Jafra, son fils aîné, Neri, son fils cadet Zolbo, qui s’est récemment marié à Tuya, et un autre jeune fils, Bandarai. C’est ce dernier, âgé d’une vingtaine d’années, qui prend le plus soin de moi. Il me prévient pour les repas, s’arrange pour savoir ce que je veux faire et me guider dans mes premiers travaux.
Retrouvez l’intégralité du récit de voyage de Michaël Guichard en Mongolie dans Numéro 11.
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