Adrien Séguy - Voyage en Accordéonistan - Les routes de la Soie
Carnet de voyage - Chine

Voyage en Accordéonistan

Il faut tendre l’oreille et remonter le temps. Tout là-bas, au-delà du col du Torougart, s’élèvent des notes d’un instrument de musique séculaire qui seraient parvenues jusqu’à nous en empruntant les routes de la Soie. Trois siècles plus tard, l’accordéoniste Adrien Séguy s’est mis en route dans l’autre sens pour retrouver les origines de son instrument.

– EXTRAIT – 

Le 11 avril 2014, je quittais Paris pour un périple incertain, vers un pays lointain et inconnu. J’avais appelé ce pays l’Accordéonistan, probablement parce que, même si je n’avais aucune idée de là où cette aventure me mènerait, j’y arriverais sûrement avec mon accordéon. La seule chose plus ou moins certaine sur laquelle je m’appuyais était que quelque part là-bas, au fin fond de la Chine, se trouvait un instrument qui avait autrefois été expédié en Europe et inspiré à nos luthiers la création de l’accordéon. Cet instrument chinois, le sheng, avait sans doute parcouru toute la route de la Soie pour arriver jusqu’à nous (encore que je me suis dit plus tard qu’il avait sûrement dû être envoyé par bateau). J’avais donc décidé de parcourir ce voyage dans l’autre sens, remontant la route de la Soie à la recherche du sheng pour revenir aux origines de mon instrument.

Il aurait été dommage cependant de ne pas s’attarder en chemin. J’avais bien l’intention de découvrir ces musiciens et artistes qui façonnent les traditions orales et musicales des pays de la route de la Soie – et qui sait, ils sauraient sûrement me guider sur les traces du Sheng. Muni d’un enregistreur audio et d’un petit appareil photo, utilisant l’accordéon comme vecteur de partage musical, je partais donc à leur rencontre.

TURKMENISTAN

Le poste-frontière entre l’Iran et le Turkménistan se situe aux confins de nulle part, au sommet d’un petit col neigeux enveloppé dans le brouillard. Il n’y a personne à la ronde si ce n’est un groupe de vieilles Turkmènes qui font péniblement rouler d’énormes rouleaux de tapis persans vers les postes de contrôle. Le garde-frontière m’observe avec suspicion et me demande où je m’apprête à passer la nuit le soir venu. Comme je ne sais pas, il inscrit sur son registre le nom d’un hôtel et me montre l’adresse du doigt : « hôtel Touriste », Achgabat. Il semblerait que j’aie ordre d’aller dormir là-bas ce soir.

Je monte dans une petite fourgonnette avec les vieilles marchandes de tapis et nous voilà dévalant la montagne vers la capitale turkmène, non loin dans la plaine. Achgabat est une grande ville bizarre, vide et silencieuse, perdue dans le désert. Notre fourgonnette me pose dans un faubourg miteux, devant un immense bâtiment soviétique décrépit qui disparaît dans la brume. J’essaye de négocier une chambre avec le peu d’argent qu’il me reste, mais la réceptionniste austère m’intime de déguerpir. Je me retrouve donc seul dans les rues désertes d’Achgabat.

Au bout de la rue, un taxi s’arrête à ma hauteur. Un vieux bonhomme tout chauve et bedonnant apparaît derrière la vitre, il me demande où je vais. Je lui réponds n’en avoir aucune idée, mais le vieux semble deviner ce que je traîne sur mon dos. « Accorrrdeon ? » « Euh… da ? » « Davaï, sa mnoï ». Une seconde plus tard, je suis installé sur le siège passager et file avec lui dans la ville engourdie par le froid.

L’accordéoniste démarre au quart de tour sur du Joe Dassin, énergique et assuré, et m’enjoint d’un nonchalant signe de tête de tenir la mélodie. Bon sang, mais comment Joe Dassin est-il arrivé jusqu’ici ??

Le vieux s’appelle Garik ; il m’explique que notre rencontre est une aubaine puisqu’elle lui donne une bonne raison de terminer sa journée de travail pour m’inviter à l’apéro. Nous nous garons dans une petite rue boueuse, devant une maisonnette de tôle turquoise. À l’intérieur, la vodka et les légumes au vinaigre sont déjà sur la table. Garik ne m’a pas tiré de la rue par hasard : son premier fils est accordéoniste, le second violoniste, son neveu chanteur et lui-même percussionne à ses temps perdus. Je crois comprendre qu’ils connaissent assez bien le répertoire musette français, ce qui ne m’arrange que moyennement, car je suis assez nul en musette ; sans parler de tous ces verres de vodka déjà descendus. Je commence sérieusement à m’inquiéter, mais voilà, ils me demandent de sortir l’accordéon.

Garik organise l’arène, me plante en face de son fils accordéoniste virtuose, professeur de musique diplômé du conservatoire de Moscou. Mes chances sont maigrelettes. On siffle le début des hostilités. L’accordéoniste démarre au quart de tour sur du Joe Dassin, énergique et assuré, et m’enjoint d’un nonchalant signe de tête de tenir la mélodie. Bon sang, mais comment Joe Dassin est-il arrivé jusqu’ici ??

Les routes de la Soie – Carnet de voyage d’Adrien Séguy à découvrir dans Bouts du monde 56

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