Cap Horn - Gisèle Lesplingard - Bouts du monde
Carnet de voyage - Chili

Terre de Feu & fin du monde

L’histoire des explorateurs a escorté le voyage de Gisèle Lesplingard en Terre de Feu. Canal de Beagle, Ushuaia, cordillère de Darwin : la voyageuse n’a pas perdu une miette de la fin del mundo. A bord du Croix Saint-Paul, vieux bateau un peu débonnaire, elle a même franchi le cap Horn sans coup férir. 

– EXTRAIT – 

Le 23 février, alors que nous nous attendions à passer une nuit supplémentaire à Puerto Toro, l’autorité maritime nous donne l’autorisation d’appareiller. Après une glorieuse série de virements de bord à travers la baie de Nassau, nous pénétrons au cœur de l’archipel le plus méridional de la Terre de Feu : les îles Wollaston dont la plus au sud porte le cap Horn. Nous mouillons au nord de l’île Hermite, au milieu des algues géantes.

Ici le vent est totalement le maître ; le sommet des îles qui nous entourent dévoile la roche à nu ou est couvert d’herbe rase. Plus bas, la forêt exhibe ses troncs blanchis et délavés par les intempéries. Au soleil couchant, l’ensemble prend une superbe couleur fauve. On devine, dans l’eau transparente aux reflets turquoise, une végétation bien plus exubérante. Aussi loin que le regard porte, affleurent de grandes laminaires dorées dont les parties aériennes frémissent au moindre souffle. On soupçonne des forêts sous-marines, refuges de toute une vie mystérieuse.

De nombreux témoignages nous rapportent que les Yamanas accrochaient leurs embarcations dans ces champs d’algues capables de casser le ressac. Les femmes y plongeaient, sûres de remonter avec une abondante cueillette de coquillages et de crustacés.

Le lendemain tout est gris, cette splendeur a disparu. Nous contournons l’île Horn vers l’ouest et sous les grains, nous doublons le cap d’ouest en est (le sens le plus facile, celui des vents dominants). Détail touchant, le barreur, il l’avouera par la suite en confession, préfère pisser dans ses bottes plutôt que d’abandonner la barre à quelqu’un d’autre au moment fatidique. Quelle n’est pas la force des rêves d’enfant ! Ils nous amènent également à devoir consoler ceux qui regrettent de n’avoir pas pu, le vent ne cessant de se renforcer, débarquer sur l’île où se trouvent un phare, un monument et un petit musée). Nous leurs rappelons que les grands clippers qui mettaient parfois plusieurs semaines à franchir le cap en tirant des bords, ne débarquaient pas leurs équipages pour faire tamponner les passeports. C’est bon, ajoutons-nous avec dédain, pour l’insolent petit paquebot qui vient de nous croiser, plan-plan, avec sa cargaison de touristes frileux. 

Carnet de navigation de Gisèle Lesplingard à découvrir dans Bouts du monde 36

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