Description
Ce n’était pas vraiment mon premier voyage, mais c’était le voyage initiatique, celui qui a tout changé. Auparavant, il y avait eu le Maroc, l’émerveillement de la place Jemaa el Fna de Marrakech, et puis l’audace de s’approcher des dunes du Sahara au volant d’une petite Fiat blanche. C’est quelques années plus tard que tout a vraiment commencé. Cet hiver-là, il faisait - 20 °C à Pékin et le ciel était bleu au-dessus de la Cité interdite. C’était il y a tout juste vingt ans, le 3 janvier 1999. Nous étions comme des oiseaux tombés du nid. Naïfs ou généreux, nous avions laissé une somme astronomique au pousse-pousse qui nous avaient menés jusque sur la place Tiananmen sous le portrait de Mao. Mais pouvions-nous à cet instant précis être plus heureux ? Quelle folie alors de se retrouver là, nous qui avions choisi de partir plusieurs semaines en Chine parce qu’il nous semblait alors que c’était l’endroit le plus improbable où partir en voyage !
Qu’en reste-t-il vingt ans plus tard ? Des vieux tickets d’entrée au Palais d’été, un boulier en laiton posé sur une étagère dans la cuisine, un plan de Pékin où il manque au moins trois périphériques tellement la ville a grandi depuis, des planche-contacts parce qu’on partait en voyage le sac rempli de pellicules noir et blanc Ilford, et un épais carnet bleu où je consignais consciencieusement chaque soir émerveillements et questionnements. Mais surtout demeure l’acuité des souvenirs, de l’odeur du charbon à Pékin au goût des soupes de nouilles dans les villages du Guangxi. Et puis subsistent tous les petits moments insignifiants qui avaient construit notre routine quotidienne pendant ces quelques semaines. Ces instants de rien qui s’oublient habituellement et viennent cette fois s’ancrer dans la mémoire.
Geoffrey Larcher n’a rien oublié non plus de son premier voyage à Kastellorizo, une petite île grecque maladroitement installée à quelques encablures de la Turquie. Arrivé là à cause de l’excentricité d’un voyagiste qui l’avait ajouté à son catalogue, il y est retourné ensuite tous les sept ans, à la différence de l’agence de voyages qui s’est rendu compte de sa méprise l’été suivant.
A quoi pensaient les frères Omidvar lorsqu’ils ont quitté Téhéran à l’aube des années cinquante pour entreprendre un voyage initiatique autour du monde qui allait durer une dizaine d’années ? Et à quoi rêvent-ils près de soixante-dix ans plus tard, lorsqu’ils s’endorment ? Demandez à Solenn Bardet, dont la vie a été bouleversée à jamais par sa première rencontre avec les Himbas en Namibie. Ou à Catherine Verger, jeune journaliste qui était à Pékin en juin 1989 pendant les manifestations de la place Tiananmen.
L’insouciance de la jeunesse avait tracé le chemin de Thibault Delavigne et ses copains d’enfance, entassés dans une vieille Citroën Dyane avec l’idée un peu folle qu’il suffisait de s’y connaître un peu en carburateur pour franchir l’Himalaya et rejoindre Pondichéry. Dans un coin de la tête, ils avaient la certitude que ce voyage initiatique servirait bien à quelque chose plus tard.
William Mauxion