Bouts du monde Matthieu Tordeur

8 voyages rafraîchissants dans Bouts du monde

1. Iakoutsk, la ville la plus froide du monde – Russie

Russie Bouts du monde 17

Thomas Goisque et Sylvain Tesson frissonnent encore quand ils repensent à cette immersion glaciale à Iakoutsk, la ville la plus froide du monde. 350 000 habitants bravent quotidiennement des conditions dantesques où la température peut descendre à moins 50 °C. Mais ici aussi, les enfants jouent dans les parcs ; ici aussi les hommes offrent des fleurs à leur fiancée.

On ne grelotte pas par – 40 °C, on souffre. Le froid est une lame qui fouaille la chair, s’attaque à un pied, à un orteil, à un lobe. Il se déplace et ferme ses mâchoires quand il trouve un morceau de choix.  La vie ordinaire devient une épopée. Les habitants font leurs courses par des températures que seuls les alpinistes de l’Everest et les conquérants du pôle éprouvent. Au « marché paysan », les vendeurs se tiennent en plein air de huit heures du matin à sept heures du soir. Des Tadjiks et des Pékinois frigorifiés se demandent ce qu’ils font là. Rien n’a l’air malheureux comme un Chinois transi. Devant un étal de lait débité en rondelles gelées, une Mandchoue prétend avoir plus chaud que ses voisines russes : « On est moins coquettes, on n’hésite pas à superposer les couches ». Sur les palettes, les steaks de viande de cheval et de renne ont des reflets de marbre.  Quand une ménagère achète une bavette, on la lui coupe à la scie sauteuse. Des poissons durs comme la pierre sont dressés sur les palettes par ordre de taille. « Ils viennent de la Kolyma ! » s’écrie la marchande. Le nom fait frissonner: c’était l’épicentre de l’archipel du goulag. Kolyma, l’autre mot pour dire enfer…   Lire plus

Carnet de voyage de Thomas Goisque et Sylvain Tesson à découvrir dans Numéro 21

2. Sortir sur l’Inlandsis – Antarctique

Bouts du monde - Antarctique

Au-dessus du 68e parallèle nord, les hivers sont longs, glacials et inoubliables. Profitant de la première et fragile apparition du soleil après plusieurs semaines de quasi obscurité, Théo Giacometti a posé ses yeux sur le Kalaallit Nunaat, la terre des Inuits, le Groenland. Enfilant sa parka, il a quitté le Manguier pour faire ses premiers pas sur la banquise, grisé par la brûlure de la glace.

Devant moi, les icebergs se dressent, monstres énigmatiques, fantômes arctiques, majestueux et sûrs de leur charme. Ils semblent tout faire pour attirer mon attention : qui le plus haut, qui le plus tourmenté. Autour d’eux, la glace craque et gronde. L’iceberg est une sirène. Ses chants lugubres et ses parures séduisantes nous attirent au plus près de la menace, inexorablement. Je m’enfonce lentement, pas après pas, dans l’immensité glacée. Ici, ni carte ni boussole. Ni sommets remarquables auxquels se fier. Pas de chemins, pas de panneaux, pas de torrents à suivre. Autour de moi, tout est plat. Infiniment plat. La glace compacte et sombre semble écrasée sur elle-même. Et pourtant si fragile, si changeante. Quelques centimètres à peine. Un sol éphémère, saisonnier. Bien sûr, je pense au pire. Pas de seconde chance ici. On s’imagine, pour le frisson, le craquement sinistre lorsque le pied passe au travers. Il parait que l’eau dessous est à -2 °C. La mort instantanée – le choc violent, l’appel abyssal. Crie, hurle, débats-toi. Rien à faire ici, en plein désert. Lire plus …

Carnet de voyage de Théo Giacometti  à découvrir dans Numéro 34

3. L’appel du froid – Groenland

Bouts du monde Groenland

Michel Rawicki aime la photo et le froid. Il a découvert l’une à l’aube des années soixante grâce à un Kodak offert par ses parents. Il a embrassé l’autre dans la vallée de Chamonix en 1962, où il réalisera ses premières photos de glace à l’aiguille du Midi. Depuis, il rêve d’icebergs et d’ours polaires.

Que cherchais-je au fond ? L’inspiration ou bien la silhouette de ce sumo qui règne sur le grand désert blanc et qui, lorsqu’il se dresse sur ses pattes arrière, peut mesurer jusqu’à trois mètres de haut. Origine de toutes mes rêveries et déambulations intérieures, cet univers, mariage du cristal de la lumière et de l’érosion, sera oujours pour moi une source d’inspiration ;  peut-être plus encore ce jour-là ; pourquoi ? Je ne le savais pas bien, pas encore en tout cas. Puis, me laissant aller à une douce et profonde méditation, redessinant, les yeux mi-clos, les limites de mon espace intérieur, je revenais lentement à la réalité, absorbé par ce que je pensais être un mouvement au loin, à une distance d’environ cinq cents mètres, peut-être un nuage de neige soulevé par le vent, tout simplement ; puis, saisissant mon boitier, je me concentrais sur une forme oblongue dont les contours lumineux, soulignés par le soleil couchant, disparurent soudain derrière une gigantesque iceberg, cathédrale de glace prisonnière en sursis, depuis que l’hiver s’était installé dans cette région reculée du nord-ouest du Groenland. Une émotion me gagnait et, le cœur battant, comme si je cherchais à prendre à témoin les quelques rochers qui m’entouraient, tournant la tête à droite puis à gauche, je sortis brusquement de ma rêverie. Lire plus

 Carnet de voyage de Michel Rawicki à découvrir dans Numéro 27

4. Le monde du Nord – Finlande  

Bouts du monde Finlande

Le blanc du sol et le vert du ciel font bien réaliser à Céline Ravier que cette fois, elle a bien mis le cap au Nord. Fini l’effervescence des bazars africains. Ici, l’air froid fait un peu mal aux poumons et il n’y a que les aboiements de chiens ou les cris des mushers pour rompre la quiétude.

Je découvre une lumière inconnue, celle d’un crépuscule qui n’en finit pas, comme un voile pâle, gris bleuté, qui recouvre lentement le blanc lumineux. Et le froid. Même si côté pho­to, ça ressemble parfois à un sport de combat à l’envers (il faut enlever les gants), j’ai l’impres­sion d’apprivoiser petit à petit les degrés néga­tifs en une respiration plus lente et maîtrisée.

Et une respiration pure lorsque l’on sait que cette région est la référence zéro en terme de pollution. Loin de tout repère connu, laisser le corps et l’esprit s’immerger dans une nature d’une beauté et d’une pureté absolues. Les vastes étendues désertiques, l’horizontalité à perte de vue en équilibre sur le vertical des immenses forêts de sapins, mélèzes, bouleaux, hêtres aux branches chargées, s’enfoncer parfois jusqu’aux hanches dans une neige lourde et onctueuse, perdre la trace, retrouver la trace, faire griller des saucisses à la pause-déj dans la cabane de bois, admirer les lumières incroyables des jours, et la voie lactée dans le silence de la nuit… La nature, somptueuse. Mais pas que.  Lire plus

Carnet de voyage de Céline Ravier à découvrir dans Numéro 17

5. – 30°C – Russie 

Sibérie Bouts du monde

Guillaume Chauvin a vu la Sibérie à travers la vitre d’un bus sale où les passagers, silencieusement entassés, expirent de la buée. Vivre la Sibérie sans être Sibérien, c’est plonger vivant dans un roman de Dostoïevski, le tumulte des Toyotas en plus. Impossible d’avoir ici une existence normale, tant le pays aime conjuguer l’absurde. 

Les matins ont maintenant une moyenne de -15°, affichés sur un écran géant, mais cela n’a encore rien de terrible. Dans certains parcs désormais vides, les lampadaires améliorés de la commune continuent de diffuser une musique douce ou Joe Dassin. Les trottoirs sont de grandes plaques de glace piquées par une multitude de talons aiguilles. Il y a un jardin d’hiver ensoleillé dans un palais de bois. Il y un zoo sans animaux. J’ai aussi cru voir un petit feu sur un chantier, sous une bétonnière en marche.

Avant de traverser le parc central, détour par l’église de « L’arrivée de Jésus à Jérusalem », en­neigée : il faut pour y entrer ne pas craindre d’ou­vrir sa porte, qui malgré la taille du bâtiment, est une porte de caravane en plastique encastrée dans un ciment provisoire. Une fois refermée derrière soi, on comprend que l’église est en rénovation. Il y a pourtant bien un office ce soir, avec quelques fidèles tête baissée. La boue rapportée du dehors a séché devant les icônes protégées par des bâches transparentes. Les Américains gagnent leurs guerres dans leurs films et les Russes les perdent dans leurs livres. Lire plus

Carnet de voyage de Guillaume Chauvin à découvrir dans Bouts du monde 15

6. Mission Terre-Adélie – Antarctique

Bouts du monde Antarctique

Julien Vasseur a passé quinze mois en Antarctique, en tant que volontaire du service civique. Ornithologue et écologue de formation, il a constaté au plus près, au cours de la 66e mission du CNRS en Terre-Adélie, les impacts du réchauffement climatique sur la survie des colonies de manchots empereurs.

Nous sommes maintenant en mars, c’est l’heure de la solitude, nous ne sommes plus que vingt-quatre personnes, vingt-quatre membres d’une même famille : la TA66 (66e mission en Terre Adélie). Nous allons rester seuls pendant neuf mois à présent, sans aucun contact physique avec le monde extérieur. Les sentiments que nous avions tous en regardant le dernier bateau partir étaient mêlés entre excitation de l’inconnu et la crainte de la métamorphose que pourrait procurer cette expérience sur nous. C’est sur un air de cornemuse joué par notre menuisier que nous regardons le bateau s’éloigner au large.

Mais la vie continue. L’ensemble de l’archipel s’est vidé de tous ses habitants, mais une dernière espèce arrive pour passer l’hiver austral sur l’archipel : le manchot empereur. La durée du jour diminue quotidiennement d’une demi-heure. Les manchots finissent de se rassembler en colonie pour commencer leur parade. Les températures avoisinent les -35 °C. Une fois l’œuf pondu, celui-ci est transmis par la femelle au mâle avec une délicatesse extrême puis c’est l’heure pour la femelle de repartir en mer se nourrir. Les mâles restent ainsi seuls, se serrant pour survivre ensemble et résister pendant quatre mois  aux morsures du froid afin de couver leur unique œuf. Survivre est leur maître mot, survivre pour donner la vie.  Lire plus

Carnet de voyage de Julien Vasseur à découvrir dans Numéro 34

7. Jour de fête sur le lac Khövsgöl – Mongolie

Bouts du monde - Mongolie

C’est une kermesse, par moins 20° C, au milieu de lac Khövsgöl en Mongolie. Les premiers pas de Céline Jentzsch sur cette incroyable épaisseur de glace étaient mal assurés, les premiers tours de roue sur la piste imaginaire irréels, mais le tableau était éblouissant.

A l’aube du festival, les voitures, les motos et les side-cars affluent sur une route imaginaire du lac gelé pour rejoindre le lieu des festivités. Cette conduite n’est pas sans difficulté, et pour obtenir une meilleure adhérence sur ce miroir bleu, des « pneus-neige » sont improvisés avec des bouts de tissus noués autour des roues.

Une estrade de glace a été construite en guise de scène, autour de laquelle les visiteurs découvrent les sculptures de glace finalisées. La cérémonie d’ouverture est animée par des chants diaphoniques ou chants de gorge, et de la musique traditionnelle. C’est parti pour deux jours hauts en couleur. Alors que nous, visiteurs, ressemblons à des pingouins vêtus de vêtements high-tech souvent très monotones (dans l’espoir contrer le froid), les Mongols, eux, ont revêtu leurs plus beaux deels. Ce long manteau qui descend jusqu’aux chevilles, est doublé de peau de mouton et assure confort et chaleur.  Lire plus

Carnet de voyage de Céline Jentzsch  à découvrir dans Numéro 26

8. Jusqu’au pôle –  Antarctique

Bouts du monde Matthieu Tordeur

Des larmes de joie ont gelé sur ses joues. Des larmes de souffrance aussi sans doute. Du haut de ses 26 ans, Matthieu Tordeur, membre de la Société des explorateurs français, a rejoint le pôle Sud géographique à skis. Sept semaines de solitude et de contemplation dans un désert blanc, glacial, impitoyable.

 Le 24 novembre 2018 par grand beau temps, j’embarque dans un Twin Otter, un petit avion à hélices. Aux commandes se trouvent des pilotes du bush canadien. Ils ont le sourire jusqu’aux oreilles : on s’apprête à décoller pour la côte du continent Antarctique, pour le bout du monde. Par le hublot, j’observe pour la première fois l’Antarctique depuis le ciel. Il y a du blanc à perte de vue. C’est saisissant. Vertigineux. Mon coeur se serre, ce paysage me prend aux tripes. Je m’imagine tout petit au milieu du blanc infini. Je me sens prêt, mais d’un autre côté je sais que les prochaines semaines vont être longues et difficiles. Je vais devoir faire face aux crevasses, au froid mordant, aux vents violents, à la solitude… Je sors d’une préparation de plusieurs années au cours de laquelle j’ai cherché sans relâche des sponsors, je me suis entraîné physiquement, j’ai testé de l’alimentation et du matériel… Lire plus

 Carnet de voyage de Matthieu Tordeur  à découvrir dans Numéro 39